Page:Evariste Huc - Empire chinois ed 5 vol 1.djvu/53

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successivement ce signal. Bientôt tout le monde s’arrête, et chacun, après avoir placé son bâton derrière le dos pour soutenir un peu la charge, relève lentement la tête et pousse un long sifflement qui ressemble à un douloureux soupir. De cette manière, ils essayent de ranimer leurs forces et de rappeler un peu d’air dans leurs poumons épuisés. Après une minute de repos, la lourde charge retombe sur la tête de ces pauvres créatures, leurs corps se courbent de nouveau vers la terre, et la caravane s’ébranle pour continuer sa route.

Lorsque nous rencontrions ces malheureux porteurs de thé, ils étaient obligés de s’arrêter et de s’appliquer contre la montagne pour nous laisser le passage libre. A mesure que nos palanquins avançaient, ils soulevaient un peu la tête et jetaient sur nous un regard furtif et plein d’une affreuse stupidité. Voilà, nous disions-nous le cœur oppressé de tristesse, voilà ce qu’une civilisation corrompue et sans croyances a su faire de l’homme créé à l’image de Dieu, de l’homme presque égal aux anges, qui, au commencement, fut couronné d’honneur et de gloire et constitué souverain de tous les biens de ce monde. Ces paroles, par lesquelles le Roi-Prophète élève si haut la dignité de l’homme, nous revenaient involontairement à l’esprit ; mais elles étaient comme une amère dérision en présence de ces êtres dégradés et devenus semblables à des bêtes de somme.

Le thé en brique et les khatas, ou écharpes de félicité[1], sont un objet de grand commerce entre la Chine et le Thibet. On ne saurait se faire une idée de la

  1. Voir une notice sur les écharpes de félicité dans les Souvenirs d’un voyage, t. II, p. 88.