Page:Evariste Huc - Empire chinois ed 5 vol 1.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tête son chapeau d’ordonnance, et, le saisissant par le bras, nous le traînâmes encourant jusqu’au grand portail de l’hôtellerie. Là, nous plaçâmes dans ses mains l’énorme bambou dont nous nous étions armés, et nous lui enjoignîmes de faire sentinelle. Si un seul individu passe, lui dîmes-nous, tu es un homme perdu. Cela se fit avec tant d’aplomb que le pauvre musulman le prit au sérieux et n’osa pas bouger. Dans la rue, le peuple riait aux éclats ; c’est que, en effet, c’était une chose fort burlesque qu’un mandarin militaire montant la garde avec un long bambou à la porte d’une auberge. L’ordre fut parfait jusqu’au moment où nous allâmes nous coucher. La consigne fut alors levée ; notre guerrier déposa ses armes et se rendit dans sa chambre pour se consoler de sa mésaventure en fumant quelques pipes de tabac.

Ceux qui ne connaissent pas parfaitement les Chinois se scandaliseront peut-être et blâmeront avec sévérité notre conduite. Ils nous demanderont de quel droit nous avons fait de ce mandarin un personnage ridicule en l’exposant ainsi à la risée du peuple. Du droit, répondrons-nous, qu’a tout homme de pourvoir à sa sûreté personnelle. Ce premier triomphe, tout bizarre qu’il était, nous donna cependant une grande force morale, et nous en avions absolument besoin pour arriver sains et saufs au bout de notre carrière. Vouloir, en Chine, raisonner et agir comme en Europe, ce serait démence ou puérilité. Du reste, le fait que nous venons de citer est bien peu de chose ; on en trouvera d’une tout autre force dans le cours de notre récit.

Notre sortie de Ya-tcheou fut presque imposante. La