PRÉFACE
es sortes de confrontations sont moins brutales que la
guerre. Mais comme elles mettent en jeu l’avenir de
l’esprit elles semblent, pour qui prend la peine d’y songer,
et tout au moins en qualité, aussi tragiques. Aussi meurtrières,
peut-être, dans la profondeur des âmes que déchirent les conflits entre l’orgueil, l’émulation et l’habitude et qui
montent qu’à condition de semer en chemin des sentiments blessés
et des idées mortes. La douceur que vous ressentiez pour
« l’ennemi » qui était comme vous enfoncé jusqu’au cœur dans
la boue sanglante, vous ne la retrouverez pas nécessairement
en apercevant la trace spirituelle au mur placé vis-à-vis de
celui qui porte la vôtre, car vos deux destinées de pauvres gens
que courbait naguère sous le même fardeau la même fatalité.
En tout cas, vous vous obligez réciproquement à l’effort, ce qui
vous jette en une sorte d’apparent antagonisme où les âmes faibles
puisent la haine et les âmes fortes l’amour. Regardez-vous
vraiment, comme hier, quand vous étiez si misérables. Il y a le
même lien, entre deux hommes qui espèrent, qu’entre deux hommes
qui souffrent. À quelque dieu qu’on consacre le temple, ses
voûtes planent au-dessus des mêmes drames spirituels et le sang
dont les émeutes rougissent son pavé a toujours la même couleur.
Il est possible que chaque peuple, ou chaque groupement de peuples, persiste dans l’avenir à garder son langage propre. Mais le langage ne réunit pas forcément, il ne divise pas fatalement. L’unité morale des Grecs qui parlaient la même langue a survécu, dans ses manifestations poétiques, au drame continu qui n’a cessé d’ensanglanter toutes les cités égéennes ou helléniques pendant trois mille ans. Au Moyen âge, l’unité morale du Christianisme, du Bouddhisme, de l’Islamisme, s’est affirmée invincible partout entre vingt peuples qui ne parlaient pas la même langue. Pour que se maintienne et croisse le désir de l’unité, je ne crois pas que l’uniformité soit souhaitable. Le grand chœur de tous les hommes est fait de voix qui montent et de voix qui descendent, de fortes et de faibles voix, de voix où coule l’eau des sources, de voix où sonne le fer. L’art n’est que la conciliation, dans un ordre dynamique, des forces contra-