Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/212

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Chose étrange ! l’esclavage seul résistait à ce relâchement de toutes lois, de toutes institutions. L’autorité du maître, sa force morale, ses moyens de domination, auxquels les voleurs et les bandits portaient à toute heure de flagrantes atteintes, sous les yeux mêmes des esclaves, ne perdirent rien de leur prestige. Ces violations odieuses ne détruisirent chez ces derniers ni le respect, ni la soumission, ni la crainte du fouet.

Il semblait, en face de cette démoralisation générale, qu’il leur eût été facile de conquérir la liberté. Deux ou trois folles tentatives de rébellion, soufflées par des émissaires anglais, mais promptement réprimées, ne parvinrent pas à ébranler cette formidable omnipotence du maître sur l’esclave. Il en résulta au contraire une recrudescence de sévérité et de coups de fouet qui resserrèrent davantage les liens de la soumission, même en présence des développements incessants du brigandage.

Pour mener à bonne fin la tâche difficile qu’il avait entreprise, le général Tacon pensa tout nettement qu’il fallait emprunter, pour la pacification du pays, quelque chose aux mesures disciplinaires que le propriétaire applique à ses nègres ; ce fut par un despotisme énergique et inflexible qu’il parvint à ramener l’ordre et la paix dans cette société aux abois.

Quelques faits sur lesquels nous aurons besoin d’insister dans le cours de ce récit donneront une idée exacte de cette étrange administration, de cette police burlesque, de cette justice boiteuse, de ces mœurs bizarres, au milieu desquelles, jusqu’à l’arrivée de Tacon, se mouvait une population hautaine, fière, aristocratique, et qui, nonobstant les éléments de mort dont elle était entourée, est parvenue à faire de Cuba l’île la plus riche et la plus enviée de tout l’archipel.