Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/257

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du bonheur et de l’ivresse quand leurs griffes et leurs dents peuvent déchirer à la fois deux victimes.

C’est la règle générale que nous venons de poser ; elle a eu ses exceptions. De nobles élans, des résignations admirables, des dévouements profonds sont sortis de ces passions tumultueuses.

Tobine avait été la compagne d’enfance d’Antonia ; elle avait été donnée à la jeune fille blanche comme un jouet pour la distraire. De plus, elles étaient sœurs de lait ; et le vieille Joséfa était la source où elles avaient puisé un mutuel attachement qui les avait liées l’une à l’autre comme deux sœurs du même sang, part faite à l’abjection de l’esclave, aux droits du maître et à la différence de couleur.

En écoutant le commencement de la confidence de Tobine, Joséfa avait senti un grand trouble lui passer dans l’esprit, et un froid mortel lui saisir le cœur. Elle se raffermit un peu cependant, et s’adressant à Tobine :

— Eh bien ! lui dit-elle, tu voulais me consulter, parle ; quel conseil te puis-je donner ?

— Écoute, nourrice, cet homme que je ne puis nommer : noble, beau, jeune, brave, je l’aimai… en le voyant. Je ne savais et je ne voulais pas savoir s’il aimait personne, et s’il était aimé d’aucune femme. J’avais donc le mystère et l’incertitude qui me laissaient heureuse. Mais un jour, j’étais aux côtés d’une femme, belle comme il est beau, lui, noble comme il est noble, jeune comme il est jeune, et je sentis, aux regards, à la pâleur, au tremblement de cette femme, qu’elle aimait, comme moi, le même homme. Je pouvais l’espionner, je l’espionnai, et je sus…

— Malheureuse ! s’écria Joséfa, l’homme que tu aimes, c’est…

— Tais-toi, nourrice ! fit Tobine en appliquant sa main