Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/281

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seaux et prit le mors aux dents vers la ville, attiré par l’instinct et le flair de son écurie.

Tobine voyait ainsi s’échapper le moyen sur lequel elle avait compté pour fuir. Dans le premier moment, elle ne s’était pas bien expliqué la présence du corps d’André à côté du cheval, et s’était imaginé qu’il avait pu marcher ou se traîner jusque-là ; mais le bruit de la petite cascade lui fit bientôt comprendre que c’était le cheval qui était venu retrouver son maître.

Ce fait bien simple en soi changea toute la direction des pensées de l’esclave. Elle y vit comme une sorte de leçon et d’avertissement.

— J’allais l’abandonner, murmura-t-elle, quand ce pauvre animal restait là ! l’aimait-il donc plus que je l’aimais, moi !

Elle s’assit par terre, à côté d’André, et, à travers la nuit, elle cherchait à lire sur ses traits. Les mêmes réflexions qui avaient traversé l’imagination de Tobine, sous le tonnelle, lui revinrent ; cette fois, elles envahirent autant son cœur que son esprit. L’imminence du danger ne lui échappa point ; mais aussi elle se rappela une des paroles qu’avec le dernier souffle M. de Laverdant avait prononcées.

— Il a dit qu’il aurait donné sa vie pour sauver l’honneur perdu de ma maîtresse, se répéta Tobine. Puis-je faire moins que lui ? À présent que le voilà mort, je veux bien mourir aussi ! Et que ma mort serve à quelque chose, à sauver ma bonne maîtresse.

Tobine, après avoir pour ainsi dire assuré cette généreuse pensée dans sa conscience, se leva avec résolution, traîna le corps d’André jusque dans le salon du pavillon où elle s’agenouilla dans un coin pour pleurer et prier.