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Page:Eyma, Les peaux noires, Lévy, 1857.djvu/63

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les jambes pendantes, et ses petits pieds effleurant le sol contre lequel ils frappaient de temps en temps pour imprimer un léger balancement au hamac. Elle suivait avec une impatience où la colère commençait à s’infuser, la marche des aiguilles sur le cadran d’une horloge, et déchiquetait nerveusement les dentelles de son mouchoir.

Au cri : Mi li ! (le voilà) jeté par Adélaïde, madame de Mortagne sauta hors du hamac, jeta un coup d’œil sur le miroir, et s’assit gravement devant une croisée de la salle, contre un guéridon, où elle prit vivement un livre qu’elle entr’ouvrit au hasard. Firmin traversa une petite galerie toute en lames de jalousie, et pénétra dans la seconde pièce, où il aperçut madame de Mortagne les yeux fixés sur son livre.

Si Firmin fût entré le bras en écharpe, le crâne fendu, ou avec une jambe cassée, madame de Mortagne, n’obéissant qu’aux bondissements de son cœur, se fût élancée vers lui, les lèvres et les yeux souriants. Mais comme rien dans l’aspect du jeune créole, ne révélait le moindre accident qui pût excuser son long retard, madame de Mortagne se leva, salua poliment, et fit signe à Firmin de s’asseoir.

Il y avait lutte, chez elle, entre le cœur et la tête. La tête, c’était la coquetterie, le dépit, l’amour-propre froissé ; le cœur, c’était la tendresse, l’élan spontané, la joie et l’abandon. Dans des cas pareils, un homme obéit au cœur ; chez une femme, la tête l’emporte toujours d’abord.

Firmin ne laissa pas d’être surpris de cet accueil glacial et cérémonieux. En toute autre occasion, il eût protesté. Il se résigna cette fois, s’assit, comme on l’y invitait, et attendit. Le jeune créole avait dans sa nature cela de bon et de rare, qu’il était franc comme l’or. Ce que ses lèvres disaient, sa conscience le pensait, il ne lui était jamais arrivé jusque-là de la fausser. Il était parti de la Caravelle