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MÉLUSINE : UNE FÉE DE FRANCE

main, ayant subi sans faiblir les pires vicissitudes, depuis les embarras d’argent jusqu’à la prison d’État.

Il est vraisemblable, en effet, que l’auteur de Mélusine, Jehan d’Arras, tout en étant originaire de la ville dont il porte le nom, vécut à la cour des ducs de Bar, voyageant à leur service, et devint libraire à Paris. Il y fournit à la chapelle royale des livres que, selon le goût du temps, il enveloppait de velours à clous d’or, comme certain Froissart, ou de soie agrafée par des fermoirs d’or portant des armes, comme certain petit livret « où sont oraisons en français et Vigiles de mois en latin, et les Heures de Nostre-Dame très bien enluminez de blanc et de noir », petit livret « baillé à Madame Marie de France ». Or, il semble que cette madame Marie fut justement la sœur de Charles V, mariée à Robert, duc de Bar, à la cour de laquelle séjourna notre libraire-romancier. Comme le sage roi, son frère, elle aimait les livres : ses passe-temps favoris étaient la lecture et la chasse. Jehan d’Arras savait lui plaire en écrivant l’histoire de Mélusine, et, sans doute, il se souvenait des exploits cynégétiques auxquels présidait la duchesse, quand il y dépeignait la chasse de la forêt de Colombiers. Ainsi que la mer, en se retirant de la plage, laisse le sable fin marqué des moindres ondulations de la vague, la vie, en se retirant d’une époque, laisse une empreinte dans les moindres détails des œuvres littéraires qui survivent.

Sous le patronage des princes, Jehan d’Arras connut beaucoup des grands de ce monde. Il eut la faculté d’explorer leurs bibliothèques, car la mode se répandait alors des bibliothèques. Charles V en avait une en son Louvre, et Christine de Pisan nous apprend l’usage qu’il en faisait, lorsque, par les jours