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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

À Paris tout m’a paru au-dessus de ce que j’en avais ouï dire ; quelle quantité de belles maisons, de marchands, de carrosses, enfin de toutes sortes de richesses ! J’admire surtout cette prodigieuse quantité d’ouvrages de l’esprit. Les fenêtres de mon auberge donnent sous le portail d’une église, où, tous les matins, en me levant, je vois quatre ou cinq affiches de livres nouveaux.

Ah ! monsieur l’abbé, que vous êtes aimable de nous avoir, d’un trait léger, esquissé ce joli coin du vieux Paris : de nos jours, on ne voit guère que dans les décors de l’Opéra-Comique ces auberges à auvent dont une fenêtre fait saillie sous un portail gothique ; mais ce que nous n’imaginons plus, c’est cet affichage de titres frivoles, précieux comme des rubans, s’offrant aux yeux des passants au sortir d’un office. Grâce à vous ce spectacle revit tout entier, jusqu’à la silhouette du bon Provincial que nous devinons caché derrière ses vitres, en robe de chambre et en bonnet de nuit. Le Parisien connaît son monde. Il a vite fait de jeter une douche sur l’enthousiasme de son admiratif interlocuteur, lui montrant comment il importe de ne se point laisser éblouir :

Les gens qui savent faire des livres sont en réalité peu nombreux, ils travaillent lentement et publient rarement. Mais il y a les gens qui manquent de pain, les femmes que l’on flatte d’avoir de l’esprit, et celles qui sont coquettes et galantes, puis les affolées de gloriole, tout ce monde-là veut faire des livres. En somme, il n’y a que le titre à découvrir ; un éditeur achète votre livre sur la foi du titre. Cela seul importe. Ensuite bâclez, si vous le voulez, votre ouvrage en trois semaines, et mettez-y ce que vous y voudrez, quand même cela n’aurait aucun rapport avec le titre choisi. Les femmes souhaitent d’écrire en prose et en vers ; elles signent des livres que les libraires se disputent, et cependant on ne les voit manquer ni une fête ni une assemblée.