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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

sous le balcon d’une belle aux yeux de velours. La belle en question n’avait rien d’une princesse féerique, elle s’appelait Tonina, et vivait du métier de courtisane, mais ce colosse masqué, armé d’une espingole, éloignait de son balcon et de ses œillades les galants officiers de Zara. Ce fut notre rêveur de poète qui, pour l’honneur du régiment, se chargea de relever le gant du Dalmate aux mines de pourfendeur. Il déclara froidement qu’il irait chez Tonina. Le masque lui fît savoir qu’ils seraient plusieurs à l’attendre sous le balcon. Gozzi, ne se laissant pas intimider, y alla quand même, et trouva libre la ruelle défendue : point d’embuscade, plus même de Dalmate. Il ramena Tonina souper avec les officiers du régiment. Cela ne l’empêcha point, au nom de la morale, de plaisanter et d’attaquer la même Tonina dans une de ses pièces, et, comme il était jeune et brillant, celle-ci ne tenait guère à lui garder rancune ; elle ne songeait qu’à soupirer un « Quel dommage ! »

Ce poète, si peu disposé à se laisser duper par les géants masqués et leurs espingoles, se montra d’une surprenante ingénuité dans ses aventures romanesques. Il eut, à son actif, beaucoup de promenades sentimentales avec une belle Dalmate et une séduisante Vénitienne ; la Dalmate lui fut infidèle pendant une de ses absences. Il rompit avec elle. Mais son cœur plus tard s’engagea dans un nouveau roman — son roman vénitien. Il habitait sous le toit du palais décrépit où son père avait mené la vie d’un grand seigneur, et que le reste de sa famille avait maintenant déserté. En face de lui, s’ouvrait la fenêtre d’une jolie voisine, dont il apercevait la coiffure élégante et le buste paré, tandis qu’elle cousait en égrenant des chansons. Sur leurs têtes, il y avait le ciel véni-