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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

convenu, invitant leurs contemporains à boire l’eau pure des primitives sources du pays.

La Tartane des influences pernicieuses fut une sorte de manifeste par lequel Gozzi prétendit affirmer ses convictions. Il le donnait comme l’œuvre d’un certain Burchiello, personnage d’un autre siècle ; mais cela s’adaptait parfaitement au siècle de Gozzi : les coups portés tombaient sur ses grands ennemis, les vers martelliens, conçus à l’image de nos alexandrins ; sur ses adversaires Chiari et Goldoni.

Dans sa féerie, l’Amour des trois oranges, il retourne aux chères vieilles traditions, aux personnages favoris de la comédie des masques, cette institution nationale. Les voici : Tartaglia, le bredouilleur ; Truffaldin, espèce de caricature bergamasque ; Brighella, l’orateur des places publiques ; Pantalon, dont le nom a une étymologie vénitienne : pianta-leone, plante-lion, sobriquet convenant à ces somptueux et aventureux marchands qui allaient planter partout, à travers le monde, l’étendard du lion vénitien. Que, pour les besoins de la cause, Gozzi fasse d’eux des rois, des princes, des artisans, des médecins, des ministres, ils gardent leurs reconnaissables silhouettes. Ils ont déjà beaucoup parlé, beaucoup ri et fait rire ; s’ils furent parfois irrévérencieux, ils n’ont pas toujours été dénués d’un héroïsme léger et charmant, presque insaisissable : allez donc faire leur procès à des bulles de savon ! Pour son bonheur, Gozzi dispose d’une troupe excellente et fantaisiste à souhait, celle du signor Sacchi.

Dans l’Amour des trois oranges la fée Morgane sert à satisfaire les rancunes et les antipathies littéraires de Gozzi. Elle n’a plus rien de commun avec les belles et sombres princesses contemporaines des