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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

reine Mab, au lieu de prêcher l’obéissance aux lois de l’Église, comme Viviane, Mélusine et la plupart des grandes fées du moyen âge, parle et prêche en véritable fée de la libre pensée. Ce n’est point la piété, mais l’amour de l’art qui fit tant regretter à Shelley d’avoir composé ce désastreux poème, où du christianisme il fait la caricature la plus hideuse et la plus blasphématoire ! Les admirateurs enthousiastes de son génie pensent eux-mêmes que la Reine Mab devrait être soustraite à la collection de ses œuvres. Elle est d’une lecture insoutenable.

Frêle et lumineuse, la reine Mab apparaît sur son char et se penche sur le sommeil d’Ianthe. Elle évoque l’esprit de la belle dormeuse, et l’invite à s’asseoir à côté d’elle, dans le même char. Puis, on ne sait pourquoi, elle promène à travers les espaces cet esprit assis, lui montrant le Nil, les Pyramides, les emplacements d’Athènes, de Sparte, de Rome. La fée prétend révéler à l’esprit d’Ianthe la grandeur et la misère humaines. Peut-être ce thème immense dépasse-t-il la portée d’une reine Mab, même alors que l’on impose à ses ailes légères tout un fatras déclamatoire, et ceux dont l’âme sent vibrer encore dans ses profondeurs l’écho des accents de Pascal, auront peine à excuser Shelley d’avoir tenté d’exprimer à rebours la même idée que lui.

L’esprit inépuisable de la création est le seul dieu, déclare cette pédante et insupportable reine Mab, qui ferait pleurer d’ennui l’étincelante petite reine Mab chantée par Mercutio. Tout le lyrisme athée de Shelley va se tourner en une sorte de panthéisme. Il est devenu le poète de l’Ode au vent d’ouest, de l’Ode à l’alouette, de la Tristesse à Naples, du Nuage, du merveilleux Nuage, et son âme, dirait-on, s’est