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LA FÉERIE ROMANTIQUE EN FRANCE

jamais exercée ? Ma religion s’offense de ces superstitions. Les orages n’obéissent qu’à Dieu.

« — Je ne parle pas de ton Dieu, reprit-elle avec impatience. Dis-moi, as-tu entendu, la dernière nuit, le gémissement d’une fontaine dans les bois, et la plainte de la brise dans l’herbe qui croît sur ta fenêtre ? Eh bien ! c’était moi qui soupirais dans cette fontaine et dans cette brise. Je me suis aperçue que tu aimais le murmure des eaux et du vent.

« J’eus pitié de cette insensée ; elle lut ce sentiment sur mon visage.

« — Je te fais pitié, me dit-elle, mais si tu me crois atteinte de folie, ne t’en prends qu’à toi… Pourquoi as-tu sauvé mon père avec tant de bonté ? Je suis vierge, vierge de l’île de Seyn… »

Chateaubriand s’est inspiré, dans l’épisode de Velléda, du passage de Pomponius Méla sur les druidesses de l’île de Sein, qui savaient, disait-on, apaiser ou soulever les tempêtes, et se métamorphoser en oiseaux. Une d’elles, on s’en souvient, est devenue la fameuse Morgane. Le moyen âge crée en elle le type de la fée, mais le siècle de Chateaubriand ne croit plus aux féeries, et Velléda, la dernière fée armoricaine, n’est qu’une illusionnée et une insensée.

Son prétendu pouvoir de régner sur les éléments souligne son impuissance à régner sur ses propres passions. La dernière fée gauloise est la muse du romantisme ; elle est la fille de celui qui s’écriait : Levez-vous, orages désirés… » Il avait épousé l’ambition de sa muse ou de sa fée, et prétendait aussi, lui, commander aux tempêtes des peuples, mais il ne se souciait guère de commander à son âme.