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LA FÉERIE ROMANTIQUE EN FRANCE

propre, le sentiment exquis de la mesure. Mais Quinet a pensé discerner, dans l’histoire de Merlin, au moins à l’état de pressentiment, l’histoire même de la race et du génie de la race. Ce qui le ravit, c’est la contradiction à laquelle Merlin doit sa naissance, et dont il porte les traces au fond de son âme : Merlin est fils d’une vierge et d’un diable, d’une sainte et du mauvais esprit. Par une série de devenirs, il réalisera l’harmonie de son être. Le vieux barde Taliesin ou Talgesin lui enseigne les triades. Sa mère qui représente l’Église lui fait connaître Virgile, les prophéties des sibylles et la doctrine des Pères. Il deviendra puissant lorsqu’il aimera Viviane, dont le moyen âge avait fait la jeune et radieuse fée des lacs et des forêts, et qui représente la nature aux yeux de Quinet. Viviane s’éveille ; elle apporte l’amour, père des enchantements, et Merlin sent naître en lui la puissance.

Merlin qui, pensif, interroge les secrets de l’avenir, et Viviane, rieuse, qui jase comme les sources, doivent donc s’aimer ; ils s’aiment, du moins Quinet nous l’affirme, bien que le moyen âge n’ait jamais cru trop volontiers à ce grand amour de Viviane pour Merlin. La fée est ambitieuse et coquette. Pourquoi déclare-t-elle un jour : « Merlin, il faut nous séparer ? » Pourquoi Merlin obéit-il à cet ordre qui lui déchire le cœur ? Ni le roman de Merlin, ni la philosophie de Quinet ne nous l’expliquent. Il voyageait jadis en compagnie de Viviane. Elle était près de lui quand ils passèrent en Avalon, par la baie des Trépassés, et qu’ils rencontrèrent Virgile au séjour des morts. Merlin voyage seul maintenant, après avoir quitté leur délicieux palais. Il correspond avec Viviane. Si nul liseron, comme à Chantecler, ne leur sert de