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LA FÉERIE DANS UN CERVEAU DU NORD : ANDERSEN

votre demeure, et, peut-être, vous assassiner. C’est une pensée mélancolique qui vous arrache un soupir et qui, dans le sommeil, reparaît pour vous faire verser d’inépuisables larmes. Vous ne communiquez plus avec le monde extérieur actuel, et tous les messages envoyés par lui, qui remplissaient les antichambres de votre âme, se sont peu à peu retirés. Il s’est fait, aussi, de grands, d’immenses vides dans votre mémoire. Or, la visiteuse — impression ou pensée — qui s’était perdue dans la foule des autres impressions et des autres pensées, se pressant, se coudoyant, se bousculant, est demeurée seule, comme une rôdeuse nocturne, et son pas, imperceptible le jour, se prolonge, se répercute en échos formidables dans la mémoire déserte et le cerveau inoccupé. Hjalmar est ainsi poursuivi par les jambages tordus de son informe écriture.

Mais Andersen se rattache toujours par quelque fil à la féerie, ou même à la mythologie. Son vieux gnome Ferme-l’Œil a un frère, un homonyme : la mort. Cet autre Ferme-l’Œil ne vient qu’une fois et ne sait que deux histoires : l’une délicieuse, qu’il raconte aux gens de bien ; l’autre terrible pour ceux qui n’ont à produire qu’un mauvais certificat. La Grèce a connu ces deux frères : ils étaient beaux, mystérieux, et de couleur opposée : l’un noir, l’autre blanc. Elle les appelait Hypnos et Thanatos. Mais Andersen s’est familiarisé avec eux, comme il sied à l’enfant né dans un catafalque. Au pays du Nord, les deux beaux génies grecs sont devenus des gnomes, et le Ferme-l’Œil du sommeil joue avec les petits enfants ; celui de la mort galope sur un coursier rapide. Andersen aime la mort comme il aime le rêve ; elle lui dicte de hautes leçons sur la sagesse