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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

Louis, dans la vie réelle, faisait porter à ses enfants, le vendredi, des couronnes de fleurs, en mémoire de la sainte couronne d’épines. Viviane, bonne catholique à sa façon, supprimait cette parure du front de son pupille les vendredis, les vigiles et pendant le carême.

Lancelot grandissait. La douce vie du manoir féerique ne suffisait plus à ses rêves. Il aspirait à cette chevalerie dont Viviane ne lui parlait pas, de crainte d’en éveiller le désir dans son cœur et de hâter la séparation. Mais l’heure terrible sonna. Viviane dut expliquer à son élève les lois de cette chevalerie redoutée, et le conduire au roi Arthur. On connaît la suite : Lancelot s’éprenant de Genièvre pour un mot dit indifféremment et s’élançant, tout plein de jeune fougue, à travers les périls, afin d’accomplir mille exploits… Qui sait ? Viviane expie peut-être alors quelque chose de sa trahison à l’égard de Merlin… Le Lancelot primitif délivrait la reine Genièvre, captive du roi de chez qui l’on ne revient pas, du roi des morts sans doute, et cela fait de Lancelot un personnage mythologique. C’est Chrétien de Troyes qui, le premier peut-être, à la fin du douzième siècle, introduisit dans le roman l’idée d’une liaison coupable entre Genièvre et Lancelot.

Lancelot, aux yeux des belles dames qui présidaient les cours d’amour du moyen âge, représentait le type du chevalier fidèle, et sa vogue nous montre que l’influence féminine régna sur les modes littéraires au douzième siècle. Fidèle, s’il l’était à sa mie, à sa « drue », comme on disait, — cela seul importait aux dames, — il ne l’était guère à son suzerain. Lancelot, l’homme lige du roi Arthur, avait dû prêter à celui-ci serment de fidélité ; certes, il se parjurait