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LA VIE ET LA MORT DES FÉES

de geste. Ce fut une nouvelle conquête des fées, conquête dont nous n’avons guère lieu de nous féliciter, si nous sommes touchés par le génie caractéristique de la vieille littérature franque.

Pour la geste carolingienne où elle s’est introduite, Morgane demeure une sorte de déesse en Avalon, affectant des allures mythologiques dans son île de féerie, allures mythologiques assez conciliables, d’ailleurs, avec la licence de ses mœurs ; les romans de la Table-Ronde l’humanisent davantage, lui donnant surtout l’aspect d’une énigmatique et dangereuse princesse de la cour d’Arthur.

Chrétien de Troyes, le premier, dans le roman d’Erec et Enide, nous cite Morgane, comme la sœur de ce prince : le roi de la Table-Ronde, trouvant Erec blessé, le soigne avec un baume irrésistible que « Morgue sa suer avait fet » et que « Morgue avait donné Artu ».

Morgane est belle, ambitieuse, passionnée, et nous apparaît sous les traits d’une brune ardente et persuasive. Fille naturelle du duc de Tintagel, premier époux d’Ygierne qui devint la mère d’Arthur, elle fut élevée par la femme légitime de son père. D’autres versions nous déclarent qu’elle était fille légitime de ce duc et d’Ygierne. En tout cas, elle est appelée sœur d’Arthur, mais les sentiments qu’elle montre à l’égard de celui-ci ne sont pas toujours fraternels, ni même bienveillants. Sa situation paraît assez délicate. Tandis que les autres sœurs d’Arthur se marient, Morgane, nous dit Robert de Boron, est mise aux lettres dans une maison religieuse.

Il y eut des femmes cultivées aux époques barbares où naquit la société moderne. Quand les hommes ne vivaient que pour le glaive, certaines