Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/164

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horrible, une physionomie très désavantageuse, un vilain poil grossier et hérissé ! Enfin vous êtes une hideuse personne ; je vous l’apprends, si vous ne le savez pas. Si peu que vous ayez de cœur, vous vous trouverez trop heureux de redevenir homme.

Grillus. — Vous avez beau dire, je n’en ferai rien ; le métier de cochon est bien plus joli. Il est vrai que ma figure n’est pas fort élégante, mais j’en serai quitte pour ne me regarder jamais au miroir. Aussi bien, de l’humeur dont je suis depuis quelque temps, je n’ai guère à craindre de me mirer dans l’eau, et de m’y reprocher ma laideur : j’aime mieux un bourbier qu’une claire fontaine.

Ulysse. — Cette saleté ne vous fait-elle point horreur ? Vous ne vivez que d’ordure ; vous vous vautrez dans les lieux infects ; vous y êtes toujours puant à faire bondir le cœur.

Grillus. — Qu’importe ? tout dépend du goût. Cette odeur est plus douce pour moi que celle de l’ambre, et cette ordure est du nectar pour moi.

Ulysse. — J’en rougis pour vous. Est-il possible que vous ayez sitôt oublié tout ce que l’humanité a de noble et d’avantageux ?

Grillus. — Ne me parlez plus de l’humanité ; sa noblesse n’est qu’imaginaire ; tous ses maux sont réels, et ses biens ne sont qu’en idée. J’ai un corps sale et couvert d’un poil hérissé, mais je n’ai plus besoin d’habits ; et vous seriez plus heureux dans vos tristes aventures, si vous aviez le corps aussi velu que moi, pour vous passer de vêtement. Je trouve partout ma nourriture, jusque dans les lieux les moins enviés. Les procès et les guerres, et tous les autres embarras de la vie, ne sont plus