XIV
DÉMOCRITE ET HÉRACLITE
Démocrite. — Je ne saurais m’accommoder d’une philosophie triste.
Héraclite. — Ni moi d’une gaie. Quand on est sage, on ne voit rien dans le monde qui ne paraisse de travers et qui ne déplaise.
Démocrite. — Vous prenez les choses d’un trop grand sérieux : cela vous fera mal.
Héraclite. — Vous les prenez avec trop d’enjouement ; votre air moqueur est plutôt celui d’un satyre que d’un philosophe. N’êtes-vous point touché de voir le genre humain si aveugle, si corrompu, si égaré ?
Démocrite. — Je suis bien plus touché de le voir si impertinent et si ridicule.
Héraclite. — Mais enfin ce genre humain dont vous riez, c’est le monde entier avec qui vous vivez, c’est la société de vos amis, c’est votre famille, c’est vous-même.
Démocrite. — Je ne me soucie guère de tous les fous que je vois, et je me crois sage en me moquant d’eux.
Héraclite. — S’ils sont fous, vous n’êtes guère sage ni bon, de ne les plaindre pas et d’insulter à leur folie. D’ailleurs qui vous répond que vous ne soyez pas aussi extravagant qu’eux ?