Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

divine. Il y en a une autre qui est une fausse monnaie. Quand on se donne aux hommes pour leur plaire, pour les éblouir, pour usurper de l’autorité sur eux en les flattant, ce n’est pas eux qu’on aime, c’est soi-même. On n’agit que par vanité et par intérêt ; on fait semblant de se donner, pour posséder ceux à qui on fait accroire qu’on se donne à eux. Ce faux philanthrope est comme un pêcheur qui jette un hameçon avec un appât : il paraît nourrir les poissons, mais il les prend et les fait mourir. Tous les tyrans, tous les magistrats, tous les politiques qui ont de l’ambition, paraissent bienfaisants et généreux ; ils paraissent se donner, et ils veulent prendre les peuples ; ils jettent l’hameçon dans les festins, dans les compagnies, dans les assemblées politiques. Ils ne sont pas sociables pour l’intérêt des hommes, mais pour abuser de tout le genre humain. Ils ont un esprit flatteur, insinuant, artificieux, pour corrompre les mœurs des hommes comme les courtisanes, et pour réduire en servitude tous ceux dont ils ont besoin. La corruption de ce qu’il y a de meilleur est le plus pernicieux de tous les maux. De tels hommes sont les pestes du genre humain. Au moins l’amour-propre d’un misanthrope n’est que sauvage et inutile au monde ; mais celui de ces faux philanthropes est traître et tyrannique. Ils promettent toutes les vertus de la société, et ils ne font de la société qu’un trafic, dans lequel ils veulent tout attirer à eux et asservir tous les citoyens. Le misanthrope fait plus de peur et moins de mal. Un serpent qui se glisse entre des fleurs est plus à craindre qu’un animal sauvage qui s’enfuit vers sa tanière dès qu’il vous aperçoit.