Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

célèbre ; tu avais de grandes parties ; mais souvent tu t’es écarté du point en quoi consiste la perfection.

Cicéron. — Et toi, n’as-tu pas eu de défauts ?

Démosthène. — Je crois qu’on ne peut m’en reprocher aucun pour l’éloquence.

Cicéron. — Peux-tu comparer la richesse de ton génie à la mienne, toi qui es sec, sans ornement ; qui es toujours contraint par des bornes étroites et resserrées ; toi qui n’entends aucun sujet ; toi à qui on ne peut rien retrancher, tant la manière dont tu traites les sujets, si j’ose me servir de ce terme, est affamée, au lieu que je donne aux miens une étendue qui fait paraître une abondance et une fertilité de génie qui a fait dire qu’on ne pouvait rien ajouter à mes ouvrages ?

Démosthène. — Celui à qui on ne peut rien retrancher n’a rien dit que de parfait.

Cicéron. — Celui à qui on ne peut rien ajouter n’a rien omis de tout ce qui pouvait embellir son ouvrage.

Démosthène. — Ne trouves-tu pas tes discours plus remplis de traits d’esprit que les miens ? Parle de bonne foi, n’est-ce pas là la raison pour laquelle tu t’élèves au-dessus de moi ?

Cicéron. — Je veux bien te l’avouer, puisque tu me parles ainsi. Mes pièces sont infiniment plus ornées que les tiennes ; elles marquent bien plus d’esprit, de tour, d’art, de facilité. Je fais paraître la même chose sous vingt manières différentes. On ne pouvait s’empêcher, en entendant mes oraisons, d’admirer mon esprit, d’être continuellement surpris de mon art, de s’écrier sur moi, de m’interrompre pour m’applaudir et me donner des louanges. Tu devais être écouté