Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/299

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succès : ne songez qu’à réussir ; si vous y parvenez, ils vous accableront de louanges.

Annibal. — Mais que vouliez-vous que pensassent vos alliés ?

Fabius. — Je les laissais penser tout ce qui leur plaisait, pourvu que je sauvasse Rome, comptant que je serais bien justifié sur toutes leurs critiques, après que j’aurais prévalu sur vous.

Annibal. — Sur moi ! vous n’avez jamais eu cette gloire. Une seule fois j’ai décampé devant vous, et en cela j’ai montré que je savais me jouer de toute votre science dans l’art militaire ; car avec des feux attachés aux cornes d’un grand nombre de bœufs, je vous donnai le change, et je décampai la nuit, pendant que vous vous imaginiez que j’étais auprès de votre camp.

Fabius. — Ces ruses-là peuvent surprendre tout le monde ; mais elles n’ont rien décidé entre nous. Enfin vous ne pouvez désavouer que je vous ai affaibli, que j’ai repris des places, que j’ai relevé de leurs chutes les troupes romaines ; et, si le jeune Scipion ne m’en eût dérobé la gloire, je vous aurais chassé de l’Italie. Si Scipion en est venu à bout, c’est qu’il y avait encore une Rome sauvée par la lenteur de Fabius. Cessez donc de vous moquer d’un homme qui, en reculant un peu devant vous, est cause que vous avez abandonné toute l’Italie, et fait périr Carthage. Il n’est pas question d’éblouir par des commencements avantageux ; l’essentiel est de bien finir.