Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/327

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ils se doivent à leurs citoyens, et il ne leur est pas permis d’achever par une mort précipitée la ruine de la patrie.

Caton. — Vous avez bien rempli ce devoir ; et s’il faut juger de votre amour pour Rome par votre crainte de la mort, il faut avouer que Rome vous doit beaucoup. Mais les gens qui parlent si bien devraient ajuster toutes leurs paroles avec assez d’art pour ne se pas contredire eux-mêmes. Ce Cicéron qui a élevé jusques au ciel César, et qui n’a point eu de honte de prier les dieux de n’envier pas un si grand bien aux hommes, de quel front a-t-il pu dire ensuite que les meurtriers de César étaient les libérateurs de la patrie ? Quelle grossière contradiction ! quelle lâcheté infâme ! Peut-on se fier à la vertu d’un homme qui parle ainsi selon le temps ?

Cicéron. — Il fallait bien s’accommoder aux besoins de la république. Cette souplesse valait encore mieux que la guerre d’Afrique entreprise par Scipion et par vous, contre toutes les règles de la prudence. Pour moi, je l’avais bien prédit (et on n’a qu’à lire mes lettres), que vous succomberiez. Mais votre naturel inflexible et âpre ne pouvait souffrir aucun tempérament ; vous étiez né pour les extrémités.

Caton. — Et vous pour tout craindre, comme vous l’avez souvent avoué vous-même. Vous n’étiez capable que de prévoir les inconvénients. Ceux qui prévalaient vous entraînaient toujours, jusqu’à vous faire dédire de vos premiers sentiments. Ne vous a-t-on pas vu admirer Pompée, et exhorter tous vos amis à se livrer à lui ? Ensuite n’avez-vous pas cru que Pompée mettrait Rome