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Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/363

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fût si honorée, pour aller mourir à la cour de François Ier ?

Léonard. — Je voudrais bien examiner un peu quelqu’un de vos tableaux, sur les règles de peinture que j’ai expliquées dans mes livres. On verrait autant de fautes que de coups de pinceau.

Poussin. — J’y consens. Je veux croire que je ne suis pas aussi grand peintre que vous ; mais je suis moins jaloux de mes ouvrages. Je vais vous mettre devant les yeux toute l’ordonnance d’un de mes tableaux : si vous y remarquez des défauts, je les avouerai franchement : si vous approuvez ce que j’ai fait, je vous contraindrai à m’estimer un peu plus que vous ne faites.

Léonard. — Eh bien ! voyons donc. Mais je suis un sévère critique, souvenez-vous-en.

Poussin. — Tant mieux. Représentez-vous un rocher qui est dans le côté gauche du tableau. De ce rocher tombe une source d’eau pure et claire, qui, après avoir fait quelques petits bouillons dans sa chute, s’enfuit au travers de la campagne. Un homme qui était venu puiser de cette eau est saisi par un serpent monstrueux ; le serpent se lie autour de son corps, et entrelace ses bras et ses jambes par plusieurs tours, le serre, l’empoisonne de son venin, et l’étouffe. Cet homme est déjà mort ; il est étendu ; on voit la pesanteur et la roideur de tous ses membres ; sa chair est déjà livide ; son visage affreux représente une mort cruelle.

Léonard. — Si vous ne nous présentez point d’autre objet, voilà un tableau bien triste.

Poussin. — Vous allez voir quelque chose qui augmente encore cette tristesse. C’est un autre homme qui s’avance vers la fontaine : il aperçoit