Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/381

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savaient ni dissimuler, ni se taire, ni s’insinuer, ni entrer dans les passions d’autrui, ni trouver des ressources dans les difficultés, ni deviner les desseins des autres ; ils étaient vains, indiscrets, disputeurs, toujours occupés de mots et de faits inutiles, pleins de subtilités qui ne persuadent personne, incapables d’apprendre à vivre et de se contraindre. Je ne pus souffrir de tels animaux.

Bessarion. — Il est vrai que les savants ne sont pas d’ordinaire trop propres à l’action, parce qu’ils aiment le repos des muses ; il est vrai aussi qu’ils ne savent guère se contraindre, ni dissimuler, parce qu’ils sont au-dessus des passions grossières des hommes, et de la flatterie que les tyrans demandent.

Louis. — Allez, grande barbe, pédant hérissé de grec : vous perdez le respect qui m’est dû.

Bessarion. — Je ne vous en dois point. Le sage, suivant les stoïciens et toute la secte du Portique, est plus roi que vous. Vous ne l’avez jamais été que par le rang et par la puissance ; vous ne le fûtes jamais, comme le sage, par un véritable empire sur vos passions. D’ailleurs, vous n’avez plus qu’une ombre de royauté ; d’ombre à ombre je ne vous cède point.

Louis. — Voyez l’insolence de ce vieux pédant !

Bessarion. — J’aime encore mieux être pédant que fourbe, tyran et ennemi du genre humain. Je n’ai pas fait mourir mon frère ; je n’ai pas tenu en prison mon fils ; je n’ai employé ni le poison ni l’assassinat pour me défaire de mes ennemis ; je n’ai point eu une vieillesse affreuse, semblable à celle des tyrans que la Grèce a tant détestés. Mais il faut vous excuser : avec beaucoup