Page:Fénelon - De l’éducation des filles. Dialogues des morts.djvu/453

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n’auraient osé prétendre la succession ; la Castille était acquise à la France ; c’était une occupation éloignée pour votre Dauphin ; il eût régné loin de vous et sans impatience de vous succéder. La Castille ne devait pas vous donner les mêmes inquiétudes que la Flandre et la Bourgogne, qui sont des pairies de votre couronne, et aux portes de Paris. Que ne faisiez-vous ce mariage ? Pour ne l’avoir pas fait, vous avez achevé de mettre au comble la grandeur de ma maison : car mon fils a épousé la fille unique de Ferdinand et d’Isabelle ; par là il a uni l’Espagne avec tous nos États d’Allemagne, et avec tous ceux de la maison de Bourgogne, ce qui met notre puissance fort au-dessus de celle de votre maison.

Louis. — Je n’avais pas prévu le mariage de votre fils, qui est encore plus redoutable que le vôtre pour la liberté de l’Europe. Mais je vous ai dit ce qui m’a déterminé pour tous ces mariages : ce n’est point le ressentiment que j’avais contre la mémoire du duc de Bourgogne qui m’a éloigné d’accepter sa fille ; ce n’est point le désir de réunir par un mariage la Bretagne à la France qui m’a fait penser à Anne de Bretagne : je n’ai pas même songé à marier mon fils pendant ma vie ; je n’ai pensé qu’à me défier de lui, qu’à l’élever dans l’ignorance et dans la timidité, qu’à le tenir enfermé à Amboise le plus longtemps que je pourrais. La couronne de Castille, qu’il aurait eue sans peine, lui aurait donné trop d’autorité en France, où j’étais universellement haï. Vous ne savez pas ce que c’est qu’un père vieux, soupçonneux, jaloux de son autorité, qui a donné à son fils un mauvais exemple contre son père ; son ombre lui fait peur.