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Ô vain acharnement sur la forme immortelle
De ce qui rampe, mord, vole, bave, corrompt ;
Le Vase colossal reste beau sous l’affront,
On sent toujours qu’il fut sculpté par Praxitèle.

Or, la Langue taillée en un bloc résistant
Est pareille à ce vase antique. L’argot louche
Fait à son large socle une guerre farouche.
Le sournois parasite escalade et s’étend.

Il étouffe et meurtrit sous son feuillage opaque
Les fruits de pourpre et d’or, le glorieux rameau ;
Reptile, il met sa queue immonde et gauche au mot,
Se soulage et vomit dans l’idiome cloaque.

La phrase est pustuleuse et bave ses poisons,
Vil crapaud qui sautèle. Un verbe est une pince,
Tel mot un œil sanglant, une gueule qui grince,
Un ventre ouvert et plein d’âcres exhalaisons.

Mais sur la Langue en vain honnie et mutilée
L’Argot a déchaîné ses hideux bataillons.
Et si l’on reconnaît Cartouche à ses haillons,
On sent à sa splendeur que Villon l’a parlée.


1881.
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