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FIERTÉ DE RACE

de ce petit groupe lointain.

Lorsqu’elle vit le docteur se pencher vers Lucienne, elle cligna de l’œil à Gabrielle et lui dit tout bas :

— Gaby, ne dirait-on pas que le docteur réclame un baiser ?

— Chut ! maman, souffla Gabrielle avec une mimique expressive, nous les tenons !

De suite elle appela le jeune M. Hartley.

Say, dear old boy, come here !

Pendant que le jeune Hartley s’approchait, Gabrielle donna congé à ses deux castors, Burnham et Cox, fils.

Et au jeune Hartley qui arrivait près d’elle, elle demanda :

— Savez-vous, mon cher James, que vous avez tout simplement l’air d’un déterré ?

— Moi ?

— Oui, vous. Asseyez-vous là près de moi, j’ai à vous faire une communication importante.

— Qu’avez-vous à me communiquer ? demanda rudement le jeune Hartley.

La jeune fille se mit à rire et demanda à son tour :

— Pourquoi, James, prends-tu avec moi une mine comme ça ?

— Qu’avez-vous à me dire ? demanda encore le jeune homme sur un ton bref et presque dur.

Gabrielle prit aussitôt un air grave, parut réfléchir une minute, puis, relevant les longs cils noirs de ses paupières et fixant sur le visage morose du jeune homme des yeux brillants et moqueurs, elle fit cette question :

— James, que penseriez-vous de Gabrielle Foisy, si vous la trouviez en tête à tête, et dans un coin sombre et reculé, avec un individu si mal réputé que le docteur Crevier ?

Le jeune Hartley tressaillit, et son regard troublé se posa sur le docteur et Lucienne.

— Voyez, ajouta Gabrielle avec un sourire mauvais, comme ils ont l’air de bien s’entendre ! Voyez-vous le vieux docteur qui se penche amoureusement… un peu trop… vers mademoiselle ?

Le jeune Hartley frissonna. Il se leva brusquement et prononça entre ses dents serrées :

— Gabrielle, vous êtes méchante !

Et, d’un pas mal sûr, il s’éloigna.

Gabrielle fit une grimace de désappointement et de colère. Elle alla retrouver sa mère.

Les invités de Mme Foisy avaient presque tous pris leur place à table lorsque le docteur pénétra dans la salle avec Lucienne à son bras.

Tout le monde regarda curieusement le couple.

À sa fille qui venait de s’approcher Mme Foisy demanda :

— Est-ce que ça va, Gaby ?

— Non, maman, ça n’a pas pris du tout… Oh ! l’imbécile !

Les yeux chargés d’éclairs de Gabrielle cherchèrent le jeune Hartley qui, à ce moment même, s’attablait près de sa mère et de Mme Renaud, et dans ces yeux il y avait du dédain et du mépris mêlés à l’indignation.

 

Le café venait d’être servi, et la conversation était devenue générale et bruyante.

Lucienne se trouvait placée entre le docteur et madame Renaud. Vis-à-vis de Lucienne était Gabrielle escortée toujours du jeune M. Burnham et de Cox fils. Gabrielle bavardait et riait aussi fort que le lui permettait le timbre de sa voix ou la vigueur de ses poumons.

Et elle disait, pour être entendue de tout le monde :

— Monsieur Burnham, voulez-vous de ceci ? … Monsieur Cox, désirez-vous cela ?… En même temps elle lançait une œillade narquoise au jeune Hartley qui, pâle et froid, sirotait lentement sa tasse de café.

Et Gabrielle poursuivait :

— Monsieur Cox, du sucre dans votre café ? … Monsieur Burnham, du lait ?…

Puis, sans raison et sans cause, elle éclata de rire.

— Qu’est-ce qu’il y a donc de si drôle, Gaby ? interrogea Mme Foisy pour laquelle le gros banquier Cox avait toutes les attentions.

Gabrielle cligna de l’œil et répondit :

— Je pensais à une chose, maman.

— À quoi, Gabrielle ?

— Je me demandais si tu n’avais pas commandé un gâteau d’amour ?

Les conversations cessèrent. Les paroles de Gabrielle avaient attiré l’attention générale.

Mme Foisy, croyant saisir l’allusion, demanda :

— Et si nous avions ce gâteau d’amour, chérie à qui l’offrirais-tu ?

Tous les regards se posèrent sur Gabrielle. Elle prit une attitude très modeste et répondit, tandis que son regard sournois obliquait vers le docteur :

— Puisque c’est ma fête, maman, ce gâteau me devrait revenir de droit….

— C’est juste ! affirma le jeune M. Burnham qui s’éprenait de plus en plus de Gabrielle.

— Monsieur Burnham, répondit Gabrielle sur un ton grave, si l’on présentait ce gâteau je le refuserais.

— Pas possible ! s’écria le jeune homme avec ahurissement.

— Très possible, monsieur ! répliqua Gabrielle. Parce ce que, continua la jeune fille avec un sourire ironique, une autre personne plus que moi mérite ce gâteau d’amour…

— Mais alors à qui le donnerais-tu ? interrogea Mme Foisy qui voyait venir le coup.

— Maman ! je le donnerais à notre cher docteur !

Et Gabrielle éclata de rire en battant des mains. Mais elle s’arrêta court… Pas un rire, pas un mot n’avait été donné en réplique. Un silence glacial avait accueilli la bourde de Gabrielle. Elle demeura interloquée.

Le clergyman se pencha à l’oreille de sa digne moitié et lui murmura, avec des sourcils gravement froncés :

Terrible girl !

Mais déjà le docteur s’était levé, pâle, mais sûr de lui.

Il promena un regard froid sur tous les