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FIERTÉ DE RACE

moment de silence, il parvint à articuler :

— Parle, parle… explique-toi !

Georges saisit tout son courage et répondit :

— Mon oncle, on m’a appris tout à l’heure que vous….

— Ah !… on t’a appris balbutia le docteur très inquiet.

— On m’a affirmé que vous êtes…

— Que je suis… Le docteur haletait.

— L’amant de Lucienne !

Le docteur tressaillit violemment, puis il se mit à considérer le jeune homme avec une stupeur amusée. Et tout à coup il éclata dans un rire formidable. Il tomba sur sa chaise-longue et continua de rire… mais de rire au point que les épaules et le ventre lui sautaient, que les larmes coulaient abondamment de ses yeux… au point encore que des passants sur la rue s’arrêtèrent, curieux étonnés.

— Ah ça ! mon oncle, qu’est-ce qui vous prend ? fit le jeune homme tout étourdi par ce rire homérique.

— Ah ! mon pauvre garçon, s’écria le docteur dans un hoquet de rire… Non… laisse-moi rire encore !

Il toussa, se pâma, s’étrangla… il devint bleu de rire.

— Je vais crever de rire, Georges… hoqueta le docteur, tu m’assassines !…

— Mais… prenez vos sangs !

— Mes sangs se figent… le rire les absorbe… j’étouffe, j’étouffe !

— Voulez-vous de l’eau ?

— Non… passe-moi… cette carafe de whiskey !

Georges obéit. Il courut à une petite table dressée dans un coin de la pièce, saisit une carafe qui s’y trouvait, prit un verre et revint rapidement auprès de son oncle.

Le docteur saisit la carafe, la porta à ses lèvres et avala trois fortes lampées.

— Hem !… fit-il en retournant la carafe à son neveu, ma foi ! cette liqueur est superbe. Sers-toi, Georges !

— Non, merci. J’ai hâte de savoir la cause de votre hilarité.

— Ne m’en parle plus, parce que je sens qu’elle va me reprendre. Ah ! je n’avais jamais pensé qu’un homme pût mourir de rire ! Ma parole ! c’est assez pour que j’en fasse une maladie.

Il sourit d’un air narquois et poursuivit après une seconde de silence :

— Sais-tu, mon pauvre Georges que tu es simple ?… Oui, très simple ; je te le dis en toute vérité. Oh ! ne te fâche pas ! Laisse-moi parler d’abord. Une chose : veux-tu que je te dise de suite qui t’a si bien informé, ou mieux qui t’a si mal renseigné ?

— Comment pouvez-vous le savoir ?

— Peu importe comment ! Je le sais, et cela me suffit : c’est Gabrielle Foisy !

— Non, mon oncle. Mais vous m’étonnez grandement avec le nom de cette fille.

— Comment ! s’écria le docteur avec surprise, me serais-je trompé ? Mais alors, c’est l’autre ; ce ne peut être que celle-ci ou celui-là. Oui, oui, c’est l’autre.

— Quel autre voulez-vous dire ?

— Hartley, sapristi !

— C’est vrai, c’est Hartley qui m’a renseigné.

— Je le savais : celle-ci ou celui-là. Mais, là, procédons avec ordre. D’abord, que t’a dit Hartley ?

Georges raconta la scène qui s’était passée devant la maison de M. Renaud.

— Se peut-il, s’écria le docteur avec ironie, que tu aies avalé comme ça cette histoire ?

— Pourtant…

— Allons donc ! tu « devrais bien comprendre que c’est de la méchanceté de la part de ce fat d’Hartley. Écoute : déçu dans ses projets matrimoniaux, sûr ou plutôt redoutant que Lucienne ne lui échappe, voulant t’écarter à tout prix, il a pris l’arme de la diffamation et de la calomnie. C’est un imbécile. Il a agi comme un sot. Que Lucienne sache seulement ce qu’il a débité sur mon compte !… Ah ! je le répète que ce Hartley est un imbécile, et Lucienne n’est pas pour lui, elle ne sera jamais à lui !

— Comment pouvez-vous affirmer cela ?

— Comment, mon cher ami ? Écoute : hier soir, devant une réunion d’amis chez Mme Foisy où se trouvaient Lucienne, Mme Renaud et les Hartley, j’ai annoncé tes fiançailles prochaines avec Lucienne !

— Vous avez dit cela, mon oncle ? s’écria Georges. Et transfiguré, il courut au docteur, lui saisit les mains et dit, la voix tremblante d’émotion : mon oncle, ne vous moquez pas de moi pour vous venger de l’offense que je vous ai faite tout à l’heure !

— Quand je t’affirme que j’ai dit la vérité !

— Dites-moi plutôt que je rêve !

— Non. Je t’ai fiancé, te dis-je !

— Ô mon Dieu ! cela peut-il se faire ? Et le jeune homme considérait son oncle avec un doute persistant.

— Cela se fera.

— J’en mourrai peut-être de joie !

— Comme j’ai failli mourir de rire ?… Eh bien, non, il ne faut pas trop jubiler, tant que le but ne sera pas atteint. Il va falloir lutter encore. Tu comprends bien que Hartley ne démorda pas comme ça tout bonnement, parce que j’ai exprimé la venue d’un événement prochain. Ensuite, il y a toujours Mme Renaud qui n’est pas facile de conduire une fois qu’elle s’est mise à aller de travers. Mais j’ai confiance, parce que je suis sûr que Lucienne t’aime ardemment, et qu’elle ne se laissera pas unir à Hartley sans une vive résistance qui lui donnera la victoire. Et puis, tu sais, nous sommes là !…

— Ah ! mon oncle, ce que j’ai été stupide tantôt !

— Ce qui t’apprendra à l’avenir… Mais bah ! laissons ces sottises de côté ; il importe surtout de songer à l’avenir, aux luttes possibles que nous aurons à faire.

— Mais alors, s’écria tout à coup Georges, il faut que j’aille à mon rendez-vous…

Et Georges, sans réfléchir et trop impatient de revoir celle qui l’avait appelé et qu’il adorait plus que jamais, s’élança vers la porte et sortit.

D’un bond le docteur fut derrière lui et le retint.

— Es-tu fou ? dit-il. Viens ici !