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FIERTÉ DE RACE

échangé entre la jeune fille et Hartley.

Mme Renaud jeta à Lucienne un regard foudroyant. Mais elle fit de suite un effort sur elle-même pour se montrer bienveillante et aimable auprès du visiteur. Elle essaya d’établir la conversation entre celui-ci et sa nièce ; mais Lucienne demeurait obstinément silencieuse, indifférente et lointaine. Elle avait pris un livre sur un guéridon et paraissait très absorbée dans sa lecture.

Mme Renaud écumait.

Plus loin, M. Renaud assis en un fauteuil et le dos tourné aux autres personnages, lisait son journal.

Une fois, Mme Renaud demanda à Lucienne de faire un peu de musique. La jeune fille répondit qu’elle était très fatigué, et elle poursuivit tranquillement sa lecture.

L’indignation fit verdir Mme Renaud.

Puis ce fut une gêne atroce entre le jeune Hartley et la tante de Lucienne. Le jeune anglais, peu causeur de sa nature, ne disait pas un mot ; et Mme Renaud avait, à ce moment, épuisé tous les sujets possibles de conversation.

Et le silence terrible se prolongeait.

Lucienne lisait toujours.

M. Renaud dormait.

Mme Renaud et le jeune Hartley s’agitaient sur leur siège respectif, se regardaient par coups d’œil furtifs et raides, rougissaient, blêmissaient, devenaient stupides.

À la fin, tout à fait décontenancé, le jeune M. Hartley prit congé.

Mme Renaud alla le reconduire à la porte. Elle souffla à l’oreille du jeune homme quelques encouragements et quelques espoirs, ajoutant :

— Ayez confiance en moi !

Et le jeune Hartley s’en alla, mortifié et très découragé.

Alors, ce fut une tigresse, et non une femme, qui se rua dans le salon.

M. Renaud sauta en l’air, échappa son journal et demeura hébété.

Lucienne resta calme et fière.

Et Mme Renaud hurlait :

— Sotte fille ! Idiote ! Fille de rien !… Le gros poing de Mme Renaud menaçait le visage tranquille de la jeune fille.

— Ah ! c’est ainsi, ajouta la tante exaspérée, que tu me fais de ces affronts, après toutes les bontés et les tendresses que j’ai eues pour toi ! Sans cœur que tu es !… Et tu n’as pas honte ?… Qu’est devenue cette gratitude dont tu ne cessais de me rabattre les oreilles ?… Que sont devenues toutes ces promesses d’obéissance que tu m’as faites maintes fois ?… Mais réponds donc !… Dis-moi donc s’il te reste un peu de cœur ! Tu ne parles pas ?… Ah ! oui, tu pleures maintenant… c’est pour mieux te moquer de moi ! Eh bien ! prends ça, ingrate !

Et d’un geste violent Mme Renaud appliqua un brutal soufflet sur la joue droite de la jeune fille.

La pauvre orpheline s’affaissa davantage et ses pleurs redoublèrent.

M. Renaud poussa un cri :

— Mélanie, pas de ça !

Mme Renaud bondit jusqu’à son époux, croisa les bras sur sa vaste poitrine et vociféra :

— Prosper, veux-tu te mêler de ce qui te regarde ?…

Ce fut assez pour le pauvre M. Renaud qui, tremblant, retomba dans son fauteuil et demeura coi. Le geste menaçant de l’épouse furieuse avait suffi.

Les paroles de M. Renaud avaient paru accroître la rage de sa conjointe.

Elle revint vers Lucienne, la saisit par un bras, la secoua violemment et cria :

— Vas-tu te révolter sans cesse contre ma volonté ?

Lucienne leva son visage humide de larmes, et sur sa joue apparut une légère blessure faite par les bagues de Mme Renaud.

— Que voulez-vous donc de moi ?

— Tu le sais, et je ne répéterai pas la même chose toute ma vie. Je veux que tu épouses le jeune Hartley.

— Je ne peux pas.

— C’est-à-dire que tu ne veux pas… mais moi, je veux, entends-tu ?

Lucienne se leva pour s’éloigner et gagner sa chambre.

Mme Renaud la saisit aux poignets.

— Tu ne t’en iras pas sans m’avoir donné une réponse définitive.

— Je vous l’ai donnée ma réponse.

— C’est l’autre que je veux : la promesse que tu épouseras Hartley.

— Jamais !

— Eh bien ! je te briserai !

Elle serra les poignets de la jeune fille à les casser.

— Vous me faites mal, ma tante, gémit la malheureuse jeune fille.

— Tant mieux. Je te dis que je te briserai. Épouseras-tu Hartley ? Parle ! Je te donne une minute pour te décider.

— Donnez-moi huit jours !

— Jamais. C’est de suite… Allons ! réfléchis, j’attends !

Lucienne se tordit sous la douleur de ses poignets, puis faisant un effort inouï, elle prononça, ou plutôt elle balbutia d’une voix indistincte :

— Je vous obéirai, ma tante…

— Tu l’épouseras ?

— Oui

Lucienne, à bout de force, chancela, sa tête tomba en arrière, elle ferma les yeux… Mme Renaud la porta sur un divan sur lequel elle la déposa tendrement avec ces paroles hypocrites :

— Pauvre chérie, c’était si facile de s’entendre…

Elle posa ses lèvres encore écumeuses sur le front livide de la jeune fille que ce sacrifice tuait.


XVII

Revers


Rue Saint-Pierre, aux bureaux de James Hartley & Fils.

Depuis la rencontre du jeune Hartley et de Georges Crevier trois jours s’étaient passés.

Un matin, un employé vint prévenir le jeune Hartley qu’un visiteur désirait l’entretenir.

— Introduisez ! répondit le jeune Hartley