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Page:Féron - Fierté de race, 1924.djvu/52

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FIERTÉ DE RACE

— Trop tard ! s’écria le docteur avec surprise.

— Oui… Mlle Lucienne a consenti et promis de s’appeler madame Hartley !

Le docteur était devenu très pâle. Il considéra un moment le jeune Hartley avec l’air de se demander si le jeune homme n’inventait pas un mensonge expressément pour le narguer.

Le jeune Hartley continua de sourire et poursuivit :

— Ensuite, pour votre information personnelle, je peux vous dire que la cérémonie nuptiale sera célébrée le vingt-six de ce mois, c’est-à-dire le lendemain de Noël. Tout est décidé !

Le docteur demeura foudroyé.

Sans mot dire il se leva d’un mouvement raide et automatique.

Le jeune Hartley ajouta, comme s’il eût plaisir à marteler l’esprit et le cœur de son visiteur :

— Monsieur, j’aime sincèrement Mlle Renaud. Or, vous devez savoir que l’amour est une forme de l’envie, et que l’envie entraîne le désir de la possession ? Je veux donc posséder Mlle Renaud, et elle sera bientôt ma femme. Adieu, monsieur !

Le docteur sortit des bureaux Hartley et Fils en chancelant. Il avait perdu la bataille… il était vaincu ! Enfin, Hartley et l’infâme Mme Renaud triomphaient !

 

En rentrant chez lui, le docteur trouva son neveu qui l’attendait depuis une demi-heure.

L’attitude défaite du docteur frappa le jeune homme.

— Êtes-vous malade, mon oncle ? demanda-t-il avec inquiétude.

Au lieu de répondre le docteur fit cette question :

— Sais-tu d’où j’arrive, Georges ?… De chez Hartley !

— De chez Hartley ? dites-vous. Et le jeune homme blêmit au souvenir du rival détesté.

— Oui. J’ai eu un entretien avec lui. J’avais voulu et espéré en même temps le convaincre de la bêtise énorme qu’il allait faire en épousant Lucienne.

— Et vous n’avez pas réussi ?

— Tu vas voir… Mais sois fort… ne te tourmente pas à l’excès pour une mauvaise nouvelle. D’ailleurs tant qu’il n’y aura rien de fait…

— Eh bien ! que se passe-t-il ? demanda le jeune homme avec une angoisse terrible.

— Il se passe ceci : Lucienne a consenti… elle a promis de devenir l’épouse de Hartley.

Le jeune homme demeura pétrifié.

Mais le docteur voulut de suite amoindrir la force du coup qu’il venait de porter à son neveu. Il reprit :

— Georges, je t’ai dit qu’il n’y a rien de fait encore, c’est-à-dire que ce mariage n’est encore qu’à l’état de projet. Tant qu’il ne sera pas consommé, il y aura toujours pour nous des chances.

Le jeune homme gémit et resta silencieux.

— Georges, poursuivit le docteur, ce n’est pas le moment de se laisser aller au découragement et au désespoir.

— Que pouvons-nous donc faire ? balbutia le jeune homme d’une voix étranglée.

— Ce que nous pouvons faire ?… Lutter !

— Lutter ! s’écria Georges avec un rictus désespéré. Comment ?

— Par tous les moyens !

— En avez-vous ?

— J’en cherche.

— Mais puisque Lucienne s’est donnée…

— Elle s’est sacrifiée, voilà tout !

— Ça revient au même… elle est perdue pour moi !

— Non… si nous savons nous y prendre.

Un silence s’établit. Le docteur s’était jeté sur un sofa et paraissait méditer très profondément.

Le jeune homme s’était levé et il arpentait le cabinet en proie à de terribles pensées. Au bout d’un moment, ses yeux bruns brillèrent d’espoir nouveau, et il s’arrêta devant son oncle pour prononcer ces mots :

— Mon oncle, il y a peut-être un moyen !

— Lequel ?

— Lucienne est majeure, n’est-ce pas ?

— Après ?

— C’est-à-dire que pour se marier elle peut fort bien se passer du consentement de sa tante ?

— Oui. Ensuite ? Je ne vois toujours pas ton moyen.

— Vous allez voir. N’avez-vous pas conseillé à Lucienne, pour sa santé, un voyage quelconque ?

— Oui, je me le rappelle.

— Supposez que vous pourriez faire accepter ce voyage à Lucienne et à sa tante.

— Tu ne songes pas à envoyer la tante en voyagé avec la nièce.

— Non… mais je suppose que vous pouvez amener Mme Renaud à laisser Lucienne partir en promenade.

— Et si j’atteignais ce but ?

— Lucienne pourrait se rendre chez son oncle à Saint-André. Puis, nous partirions vous et moi, et j’épouserais Lucienne là-bas !

— Mais cela équivaudrait quasi à un enlèvement ?

— Qu’importe ! puisque nous n’avons pas le choix des moyens.

— Il est vrai qu’avec une femme comme Mme Renaud on peut se permettre tous les moyens.

— Vous voyez ?… Et avec cette pensée d’espoir, ce projet nouveau dont le succès lui paraissait assuré, Georges rayonnait.

Après avoir réfléchi un moment le docteur dit :

— Soit, nous tenterons cette chance.

— C’est la dernière, mon oncle, et vous-même avez dit qu’il fallait tout tenter.

Un coup de sonnette vint interrompre cet entretien.

L’instant d’après, Annette vint annoncer Mlle Gabrielle Foisy.

Le docteur ordonna d’introduire la jeune fille dans son cabinet, et Gabrielle parut accompagnée d’une amie.

— Eh bien ! dear old Doctor, s’écria Gabrielle en entrant comme un coup de vent, savez-vous la dernière nouvelle ? Et apercevant le neveu du docteur elle lui tendit la