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FIERTÉ DE RACE

sur l’estrade et annonça que les concurrentes n’avaient plus que dix minutes pour terminer leur tâche.

Il se produisit aussitôt un remue-ménage extraordinaire : l’immense foule se disposa en deux camps, l’un pour Lucienne, l’autre pour Gabrielle. Mais le camp de celle-ci était sans contredit, le plus fort : près des deux tiers de la salle s’étaient rangés sous la bannière de Gabrielle. Ce fut dès lors une véritable lutte de dollars contre dollars !

Le jeune M. Hartley, saisi de remords peut-être, s’était élancé vers Lucienne pour lui donner le dernier coup d’épaule. Malheureusement, il fut devancé par Georges Crevier. Celui-ci murmura à l’oreille de la jeune fille :

— Lucienne, vous gagnerez, j’en suis sûr !

— Merci, Georges. Elle ajouta en rougissant : Il est une autre victoire que je voudrais gagner…

Alors une voix murmura derrière elle :

— Vous gagnerez l’autre également, mademoiselle !

Lucienne en se retournant, reconnut le docteur Crevier, qui laissa tomber un chèque dans la sacoche de la jeune fille.

— Merci, répondit Lucienne avec un sourire reconnaissant. Et, accompagnée de Georges, elle se remit à sa quête.

Le jeune M. Hartley s’était de nouveau vengé en rejoignant Gabrielle qui, sans façon, demanda au jeune M. Burnham d’aller quelque part voir si Gabrielle était là !

Et les dollars pleuvaient toujours ! Les paris grossissaient ! On discutait… souvent très fort et très haut ! Déjà on proclamait Gabrielle gagnante avec $20,000, au moins.

De son coin Mme Renaud observait Lucienne avec ses regards d’hyène. Elle avait surpris Georges Crevier coupant le fil au jeune Hartley. Elle avait frémi. Un étourdissement avait même failli la renverser. Un sourd grondement… ou mieux un rugissement s’était fait jour entre ses dents serrées :

— Petit gueux, va !…

Et si les regards de Mme Renaud avaient eu la puissance d’anéantir, Georges Crevier fût tombé sur place ; car les regards de Mme Renaud à cette seconde avaient été simplement deux lames aiguës !

Mais s’il n’y avait eu qu’elle en cause, passe encore ! Mais non… les Hartley avaient vu, eux aussi, le manège de Georges Crevier, la déconfiture presque de leur fils, et un peu à l’arrière la grosse et bonne figure toute réjouie du docteur. Cela avait été pour eux une douche effroyable !

Mme Renaud, pour parer à l’horreur de cette vision, avait essayé tout l’artifice d’une conversation engageante et détournante, mais M.  et Mme Hartley étaient demeurés très froids, très secs, très hautains, et ils avaient gardé avec Mme Renaud défaillante un silence de sépulcre !

Les dix minutes annoncées s’écoulaient rapidement. Les deux camps s’agitaient comme une mer en furie que soulèvent les vents monstrueux du vieil Éole, lorsque pour la seconde fois la clochette retentit.

Si bruyant l’instant d’avant, si tourmentée, la salle se statufia pour ainsi dire, et tout les regards se fixèrent ardemment sur l’estrade. Là devant une table, les juges du concours venaient de prendre place.

Vers l’estrade Gabrielle et Lucienne, s’avançaient : Gabrielle, rieuse et sautillante ; Lucienne, fière et digne.

La curiosité et l’anxiété régnait dans tous les esprits. La première bourse déposée fut celle de Gabrielle. On compta chèques billets de banques, monnaies… on additionna. Les yeux de l’auditoire semblaient fascinés. On retenait toutes les respirations, on avançait toutes les têtes, toutes les oreilles allongeaient avec effort !

Le juge-président se leva et dit :

— Première bourse : mademoiselle Gabrielle Foisy $17,640.

Des applaudissements formidables éclatèrent. Des hourrahs s’élevèrent. Des cris de victoire retentirent. Des bravos, des coups de sifflet, des trépignements, des chapeaux balancés avec fureur ou ivresse, un véritable charivari se déchaîna. La fanfare attaqua une marche alerte. On s’empressait aussitôt auprès de Gabrielle, on l’entourait, on la félicitait, on la choyait, on se l’arrachait…

Cependant les juges faisait maintenant le compte de la bourse apportée par Lucienne. Et, chose curieuse, ce décompte prenait aux juges plus de temps que pour celui de Gabrielle. Une nouvelle curiosité saisit les spectateurs, et le silence se rétablit.

Les juges comptaient depuis longtemps. Cela allait-il finir ?… Une inquiétude commençait à pénétrer l’esprit des vainqueurs de l’instant d’avant, de ceux qui avaient chanté la victoire. Et les juges qui additionnaient sans cesse des masses de billets de banque, des chèques, des piles de monnaie blanche… Un frisson secoua la salle. Gabrielle venait de pâlir en entendant ces paroles prononcées pas loin d’elle :

— Diable ! il y a bien cinquante mille dollars dans cette bourse !

Le juge-président se leva de nouveau. À ses lèvres on voyait un sourire que les spectateurs ne pouvaient définir.

Le silence se fit solennel lorsque le juge parla :

— Mesdames, messieurs, la deuxième concurrente, mademoiselle Lucienne Renaud…

L’un des juges l’interrompit pour lui murmurer à l’oreille quelques paroles.

Le président sourit d’avantage et reprit :

— J’allais faire un oubli dans le compte de la bourse présentée par Mlle Renaud : c’est un chèque du docteur Crevier pour la somme de $10 000, qui, ajoutée à la quête, donne, pour Mlle  Renaud, la somme totale de $30,500…

Chose étrange : pas un applaudissement, pas un mot, pas un bruit, les spectateurs regardent les juges comme s’ils n’ont pas bien compris. Ils paraissent médusés ou incrédules. Puis tous les regards se reportent sur Lucienne très souriante.

Le président répète :

— Trente mille cinq cents dollars ! Mlle Renaud est gagnante !

On ne pourrait décrire avec toute sa réalité la scène qui suivit, ce fut une tempête, un