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Page:Féron - Jean de Brébeuf, 1928.djvu/20

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JEAN DE BRÉBEUF

cieusement et sans proférer un murmure. On eût dit un père de famille envoyant ses enfants au travail.

Jean de Brébeuf, suivi de Gaspard et de Jean et de deux guerriers, se dirigea vers son domicile à l’autre extrémité de la bourgade. Marie les avait suivis à distance, mais elle n’entra pas dans la cabane du missionnaire ; elle s’assit sur le seuil de la porte en attendant la fin de la conférence et qu’elle fut appelée.

Au bout d’une demi-heure en effet Jean de Brébeuf la fit entrer.

— Marie, dis-moi comment ce message de l’Araignée t’est parvenu ?

— Je ne sais pas, répondit-elle. J’étais sortie pour venir à la chapelle. À mon retour j’ai trouvé devant la porte le message de l’Araignée.

— Ton père et ta mère n’ont rien vu ?

— Mon père est aujourd’hui à la chasse. Ma mère était chez des voisins.

— Faut-il penser qu’en plein jour l’Araignée soit entré dans la bourgade ?

— Oui, répondit la jeune fille.

— Et toi, mon garçon, demanda Jean de Brébeuf au jeune indien, crois-tu que l’Araignée soit entré dans le village ?

— Je le crois, répondit le jeune homme qui demeurait debout, sombre, bras croisés.

— Faut-il penser que de nos guerriers auraient favorisé son entrée ?

— Non. L’Araignée ressemble à la couleuvre, il se glisse silencieusement dans les herbes, il grimpe aussi facilement que l’écureuil dans les rameaux des pins, et, comme l’araignée, il peut à l’aide de ses fils parvenir là où il veut.

— Oui, il est très habile, murmura le missionnaire, méditatif.

Après un silence, il interrogea de nouveau la jeune huronne.

— Marie, depuis quand le Père Lalemant est-il reparti pour Saint-Ignace ?

— Ce matin, après la messe, Père.

— A-t-il dit quand il reviendra ?

— Avant que le soleil se soit couché.

— C’est bien. Mes enfants, ajouta-t-il, je vous prie donc de vous retirer chacun à vos foyers, tandis que je vais méditer. S’il y a menace et danger, j’aviserai aux moyens de nous protéger tous et je vous en ferai part. Soyez tranquilles, l’œil du Grand Maître veille sur nous nuit et jour. S’il a permis à l’Araignée cette escapade, c’est pour nous faire comprendre que nous ne le servons pas comme il veut, et il faudra demain, dimanche, l’implorer de veiller sur nous davantage et lui présenter le repentir de nos fautes.

À cet instant un jeune homme, revêtu de la robe noire, apparut, alerte et souriant.

— Ah ! cher ami, s’écria de Brébeuf en lui saisissant les mains, je suis content de vous retrouver aussi gaillard…

C’était Gabriel Lalemant.


CHAPITRE V

LES AMANTS DE LA FORÊT


Après l’arrivée de Gabriel Lalemant, Jean Huron était sorti de la cabane du missionnaire en compagnie de la jeune indienne.

— Marie, avait-il murmuré, allons sous le toit de ton père où je désire te faire des confidences !

— Viens, Jean, j’aime à entendre les belles paroles qui sortent de ta bouche.

Tous deux traversèrent la bourgade. À l’autre extrémité, et non loin de la porte de la palissade, ils s’arrêtèrent devant une hutte écartée des autres et autour de laquelle croissaient des fleurs sauvages. C’était l’une des plus petites et des plus coquettes. Les murs extérieurs étaient tapissés d’écorce habilement assemblée. L’intérieur était divisé en trois pièces, deux chambres à coucher et une salle. Pour parvenir à cette salle il fallait traverser les deux chambres. La salle était propre, mais dénudée de tout mobilier. Il s’y trouvait une cheminée de pierre qui, en hiver, réchauffait la maison. Les murs étaient tendus de peaux de cerf tannées sur lesquelles Marie avait peint en noir et en rouge des figures de vierges telles qu’elle en avait vues dans le missel du missionnaire. Le sol était entièrement recouvert de nattes faites de tiges de jonc ou tissées de rameaux de saule, et çà et là étaient disposées des peaux de castor et d’ours sur lesquelles on s’asseyait. Les chambres étaient pareillement tendues de peaux de cerf. Pour tout ameublement elles n’avaient qu’un lit de perches et de fourrures. En arrière de la hutte et faisant appentis se trouvait une autre pièce qui servait de cuisine ; mais nulle porte ne communiquait