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JEAN DE BRÉBEUF

ment de ceux-là qui ont christianisé l’Amérique, mais également de tous ceux qui ont répandu par le monde entier la parole de l’Évangile, ce fut leur amour même de la souffrance, car en l’aimant il leur était possible de la mieux supporter. Leur endurance était d’autant plus inébranlable que leurs tourments n’étaient pas soufferts en vue d’un gain matériel et terrestre, mais pour la conquête de biens célestes et éternels qui ne s’acquièrent pas sans la souffrance. Et plus ces apôtres souffrent, plus ils jouissent, car plus ils entrevoient l’immense somme de bonheur et de joies que Dieu leur réserve auprès de lui. Mais, tout de même, ce qu’il leur faut d’énergie sublime, de maîtrise sur soi-même, de volonté pour ne pas céder à la faiblesse de leur chair d’homme !

Jean de Brébeuf possédait toutes ces vertus qui font les puissants conquérants. Il avait été si fort qu’il n’avait jamais failli. Dans les pires traverses, dans les crises les plus terribles il avait dressé sa taille haute et fière, levé la tête, offert son cœur à Dieu, et hardiment il avait fait son chemin, fort, avec l’aide de son Dieu, d’atteindre le but. Il n’avait jamais retraité devant l’ennemi ou l’obstacle, il était allé de l’avant, dût-il y trouver la mort ! La mort ?… Mais depuis longtemps déjà il avait fait le sacrifice de sa vie ! La mort ?… Mais pour lui c’était encore la vie, la vraie vie, l’unique vie… cette vie céleste qu’il voulait conquérir ! Néanmoins, tout en méprisant la mort, il avait toujours été d’une extrême prudence : s’il ne redoutait pas la mort, il ne la bravait pas non plus. Car braver, c’est s’exposer, et il n’avait pas le droit d’hasarder sa vie. Dieu seul possédait ce droit. Jean de Brébeuf lui avait offert sa vie, il la lui avait donnée, il ne pouvait donc pas la reprendre. Mais le jour où Dieu voudrait reprendre cette vie, comme Jean de Brébeuf serait prêt à la lui laisser ! Il serait si prêt, qu’il se sentait capable de marcher fermement au martyre, afin d’arriver plus sûrement à Celui qu’il voulait. Et cependant il priait le Seigneur de le laisser encore longtemps dans cette vallée de larmes et de souffrances, tant il entrevoyait de beaux combats à engager.

Ce jour-là encore, dans ce superbe crépuscule où se révélait toute la magnificence de Dieu, Jean de Brébeuf offrait sa vie au Seigneur. Il revenait sur ses pas et considérait d’un œil calme et d’un cœur content son œuvre immense qui lui paraissait cependant à peine ébauchée. Il murmurait :

— Ô mon Dieu ! me permettrez-vous de l’achever ?… Que votre sainte volonté soit faite !

Car il avait un pressentiment qui l’assiégeait depuis quelques jours. Une douce tristesse était descendue dans son cœur, il avait senti comme un murmure lui souffler que bientôt ses yeux humains se fermeraient à toute cette splendide nature qu’il adorait dans la toute-puissance de Dieu. Puis c’était comme un regret qui troublait son esprit à la pensée d’abandonner sitôt ce beau domaine si ardûment acquis ! ! De l’abandonner encore inachevé ! Il semblait au missionnaire que l’œuvre n’était pas si considérable qu’il l’avait faite. Il lui semblait qu’il n’avait pas assez accompli, qu’il aurait pu faire mieux et davantage ! Mais enfin, si le Seigneur était satisfait, pourquoi ne le serait-il pas, lui ? Eh bien ! oui, Jean de Brébeuf était satisfait !… La mort pouvait venir frapper, il était prêt ! Si c’était le martyre qui devait prendre son dernier souffle de vie humaine, il serait content.

— Je ne faillirai pas, s’était-il dit, et je tâcherai de ne m’en pas rendre indigne !

Comme on le voit, Jean de Brébeuf était bien l’homme choisi de Dieu !


CHAPITRE VII

L’ARAIGNÉE


Ce pressentiment, qui était venu assaillir l’âme sereine de ce grand lutteur, avait grandi à la présence mystérieuse dans la forêt du plus terrible ennemi des Hurons, le jeune et vindicatif chef des Iroquois, l’Araignée.

Et en regagnant sa bourgade et sa cabane, Jean de Brébeuf pensait à ce fier enfant de la forêt pour la conversion duquel il eût volontiers et ardemment donné sa vie. Et qui sait ? — le missionnaire le désirait fortement — s’il n’allait pas terminer sa mission sur la terre par la belle conquête de cette jeune âme farouche, comme il croyait le sentir. Et à la vision d’une telle conquête son cœur fut transporté d’allégresse.