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JEAN DE BRÉBEUF

pénétrant et serein dans les yeux troublés du jeune chef.

— Tu te trompes, chien, je suis content… plus content que toi et ton Dieu !… Et la preuve, c’est que je veux avoir pitié de toi !

— Je ne demande pitié qu’à mon souverain Maître, répondit doucement le missionnaire.

— Écoute, reprit brutalement le jeune Iroquois. Dis-moi qui m’a enlevé ma prisonnière !

— Marie ?

— Madonna, oui.

— Je ne le dirai pas !

— Je te ferai grâce, si tu le dis.

— Non ! Je ne demande pas grâce.

— Tu t’obstines ?

— Je n’ai rien à dire, voilà tout.

— Prends garde !

— Je ne crains que mon Dieu, quand je manque à mon devoir.

L’Araignée se mit à ricaner, chose qui lui arrivait rarement.

— C’est bon, dit-il avec indifférence. Tu ne veux pas parler, mais je sais quand même qui a enlevé Madonna… c’est le chasseur blanc !

Le missionnaire ne répliqua pas.

L’indien se rapprocha de lui et, terrible, souffla :

— Je le sais, mais je veux te le faire dire. Je veux te dompter. Tu parleras…

— Non, mon fils.

— Écoute, c’est ta dernière chance de salut : si tu refuses de te soumettre à ma volonté, je te ferai torturer tant et si bien que tu te jetteras à mes pieds pour les embrasser et implorer ma clémence.

Jean de Brébeuf le regarda un moment de ses yeux pleins de douceur et de charité, et répondit en souriant toujours :

— Va, mon fils, j’attends tes tortures ; car alors je pourrai te prouver que Dieu est plus puissant que tous les pouvoirs de la terre !

L’Araignée leva une hache qu’il portait à sa main droite. Le missionnaire s’arrêta et dit :

— Frappe, j’attends !

L’indien ne put soutenir le regard du prisonnier, il détourna la tête, recula et fit entendre un cri rauque. Puis brutalement il fit pousser Jean de Brébeuf en avant vers les autres bandes qui couraient en poussant des cris dont tremblait la forêt entière. Là bas, à travers les arbres, on pouvait apercevoir déjà une épaisse fumée qui s’évaporait dans l’espace : c’était le village Saint-Ignace qui achevait de se consumer.


CHAPITRE XVIII

LES TERRIBLES APPRÊTS


Au retour triomphal de leurs congénères, les sauvages laissés à Saint-Ignace poussèrent des acclamations joyeuses. Leur joie était faite de haine et de vengeance. Et rien ne fut plus effroyable à voir que les saturnales de ces démons bariolés qui suivit autour des ruines fumantes de la bourgade.

Les sept Hurons apostats s’élancèrent vers les deux missionnaires et réclamèrent l’honneur de les soumettre à la torture. Pour s’attirer l’amitié et l’admiration des Iroquois, ces Hurons affectaient plus de férocité que les premiers.

L’Araignée les toisa avec mépris et répliqua durement :

C’est moi qui commande ici, arrière chiens de Hurons !

Il jeta des ordres brefs à sa bande, puis, seul, il alla faire le tour du village incendié. À un endroit, des iroquois avaient commencé à torturer leurs prisonniers hurons. Après avoir enlevé à ces derniers leur chevelure, ils se plaisaient à les cribler de coups de couteaux. Quand l’un d’eux était devenu à peu près inconscient, les tourmenteurs le jetaient sur un brasier.

L’Araignée donna l’ordre de finir ces victimes et de préparer les poteaux pour les deux missionnaires et les autres prisonniers hurons. Ceux-ci étaient au nombre de seize. Trois d’entre eux, pris de lâcheté, demandèrent la liberté et la vie pour aider les grands guerriers iroquois à faire souffrir les Pères Noirs.

Dégoûté par tant de poltronnerie, l’Araignée leur fit casser la tête à coups de tomahawk.

Puis toute la bande se mit en mesure de dégager de la palissade les pieux les plus solides pour y attacher les victimes.

Jean de Brébeuf surveillait les apprêts d’un œil tranquille. Trop loin de Gabriel Lalemant pour s’entretenir avec lui, il s’entretenait avec Dieu.

— Ô mon Seigneur ! murmurait-il tout