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Page:Féron - L'échafaud sanglant, 1929.djvu/45

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L’ÉCHAFAUD SANGLANT

à la potence avec son échelle et sa corde. Dans vingt minutes, une demi-heure au plus, il reviendra pour me chercher. J’ai mon idée. Sur la table boiteuse la bougie brûle. Je renverse la table de mes deux pieds ligotés. La bougie tombe et ne s’éteint pas. Je fais brûler les liens de mes poignets, je me libère les pieds ensuite et je mets le feu à la tanière du maudit. J’accours ici. Mathurin vient de terminer ses apprêts. Il est là sous la poutre et la corde examinant le nœud coulant. Ce nœud coulant, je le lui passe au cou et je serre… je serre si fort que Mathurin étouffe. Il se débat, mais vainement. Je bondis à l’autre extrémité de la corde et je hisse… Vois-le, ma chère femme, il ne bouge plus !

Et l’homme qui parlait ainsi riait.

La jeune femme regarde cet homme et le pendu tour à tour, et elle croit qu’elle va s’abîmer dans un gouffre de folie. Non ! la chose ne peut être réelle !

Pourtant…

Car l’homme qui la tient reprend sur un ton sardonique :

— Et à présent, ma belle, tu vas savoir que j’ai là une autre corde, mais plus petite que celle de Mathurin. Mais toi tu n’es guère pesante et cette corde t’ira à merveille. Allons, viens !

L’homme enleva la jeune femme dans ses bras. Elle voulut se débattre. Il serra si fort qu’elle étouffa. L’instant d’après lui et elle se trouvaient sur la plateforme. La jeune femme alors poussa un cri retentissant… puis un autre… un troisième. L’homme lui remonta sa jupe jusqu’à la tête et fit un nœud. Puis il alla prendre une corde à quelques pieds de là, et lança une extrémité par-dessus la poutre. Mais cette corde n’avait pas de nœud coulant… n’importe ! L’homme défit le nœud de la robe et promptement et assez habilement enroula la corde trois ou quatre fois au cou de la jeune femme. Elle voulut crier encore, mais son cri ne fut qu’un long râle. L’autre courut à l’extrémité de la corde, la saisit, tendit les bras avec effort, et la jeune femme monta dans l’espace…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Maître Jean, on s’en souvient, avait entendu les cris proférés par la femme.

Voici donc Maître Jean qui accourt au gibet… Comme il arrive, la jeune femme est enlevée dans l’espace, ses pieds sont déjà à quelques pouces de la plateforme. Maître Jean a vu la scène d’un coup d’œil… Là, on pend une femme à côté d’un homme déjà pendu. C’est assez. Il bondit avec une souplesse dont on ne l’aurait pas cru capable. Le voici qui se dresse devant la jeune femme, mais aussi devant l’homme qui tire sur la corde. Et lui, cet homme, à la vue du vieillard, fait entendre cette exclamation :

— Ho !… Maître Jean !…

Il lâche tout à coup la corde, saute à bas de la plateforme et fuit à toute vitesse dans la nuit qui commence à blanchir doucement aux approches de l’aube.

Maître Jean vient de recevoir dans ses bras cette femme qu’on pendait, et la femme parait morte ou évanouie. Le vieillard la regarde… Oh ! ces cheveux d’or… Oh ! ces traits qui lui rappellent soudain les traits d’une autre femme — sa femme — disparue depuis longtemps de son existence. Et, tout à coup éperdu de joie, sinon d’horreur, il crie :

— Ma fille !… Ma fille !…

Cette joie ou cette horreur est trop forte. Maître Jean, à bout d’émotions et de fatigues, chancelle, s’abat et roule au bas de la plateforme. Dans sa chute trop soudaine il emporte celle qu’il étreint fortement dans ses bras.

À l’instant précis, un adolescent muni d’une lanterne vient de s’arrêter à deux pas. C’est Louison Pinchot. Tantôt, en passant pas loin de là, il a entendu aussi les cris de la femme. Il est accouru sans savoir pourquoi. Et le voilà qui élève sa lanterne et regarde avec effroi l’étrange et terrible scène qu’il a sous les yeux. Ce qui l’étonne surtout, c’est qu’il a reconnu Maître Jean dans le vieillard étendu inanimé sur le sol et tenant pressée dans ses bras une belle et jeune femme.

Et tandis qu’il regarde de yeux désorbités, elle, la jeune femme, revient à elle… La chute qu’elle vient de faire l’a ranimée. Elle regarde d’abord le vieillard… et lui, comme s’il eût fait un rêve, mais un rêve heureux, murmure faiblement :

— Ma fille… c’est ma fille que j’ai retrouvée !

La jeune femme, par un rude effort, fait lâcher prise à Maître Jean. Elle s’agenouille et balbutie, tandis que des larmes coulent abondamment de ses yeux :

— Mon père… mon pauvre père… me pardonnerez-vous jamais ?…

Scène étrange et douloureuse !

Louison Pinchot n’en peut croire ses yeux…

Il regarde ce vieillard, qu’il connaît bien et qu’il vénère, inanimé sur le sol détrempé et boueux… Il voit cette jeune femme, qu’il trouve belle, agenouillée et pleurant avec une corde enroulée autour de son cou… Qu’est-ce que cela veut dire ?…

Mais à la fin cette lanterne attire l’attention de la jeune femme. Elle tourne les yeux du côté où se tient Louison Pinchot. Elle voit cet adolescent qui lui semble comme pétrifié. Elle le considère un moment… Elle ouvre des yeux énormes… Et voilà qu’elle se dresse dans un bond prodigieux, et, crispant ses deux mains et les tendant vers l’écolier, elle crie comme avec désespoir ou joie, on n’aurait su dire :

— Louis !… Louis !…

Cette fois c’en est trop pour Louison. Il fait un bond en arrière, tourne les talons et s’enfuit avec sa lanterne.

La jeune femme, alors, retombe à genoux près de Maître Jean. Elle se penche, baise le front livide du vieillard, puis, à bout de forces, elle s’affaisse, évanouie, sur celui qu’elle a appelé son père…


XV

L’ÉCHARPE ROUGE.


La cabane de Mathurin n’était plus qu’un monceau de cendres chaudes desquelles montait une fumée blanche que dissipait aussitôt le vent. Car le vent, qui durant une heure environ, s’était considérablement amolli, reprenait de plus belle. Seulement, il ne soufflait plus du même point. Avant, il avait rugi en accourant