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L’AVEUGLE DE SAINT-EUSTACHE

— Est-ce pour me dire encore que vous m’aimez ? interrogea Olive avec un sourire ironique qui retroussa ses deux lèvres rouges.

— Peut-être… si vous vous rappelez la déclaration et la promesse que vous m’avez faites il y a un an… un an, jour pour jour. Vous vous rappelez ?

— Oui, c’est vrai, monsieur Jackson. Mais vous, à votre tour, souvenez-vous que je vous ai fait cette promesse sans avoir pris l’avis de mon père.

— Peut-être encore… bien que votre père m’eut promis, un mois après vous, de m’accorder votre main.

— Pardon, monsieur Jackson, mon père ne vous a rien promis ! De grâce, n’inventez rien !

Le jeune homme demeura impassible sous l’outrage. Son sourire amer reparut. Puis il décroisa les bras, fit quelques pas de côté, s’appuya au tronc d’un arbre et reprit :

— Votre père, mademoiselle, s’est simplement dédit comme vous-même. Car votre père alors, tout comme aujourd’hui, habitué depuis longtemps à faire vos volontés, ne savait pas encore que vous étiez fort éprise d’amour pour un jeune homme de votre pays.

— Voulez-vous parler d’Albert Guillemain ?

— C’est vous qui le nommez.

— Ne savez-vous pas qu’il est amoureux d’une autre que moi ?

— Je le sais… Oh ! je sais bien des choses !…

— Eh bien ! alors, si vous savez…

— Je vous dis que je sais bien des choses sans que j’en aie l’air. Oui, je sais encore que vous continuez d’aimer éperdument ce jeune homme, bien qu’il vous ait éconduite.

— Il m’a éconduite !… Le rouge de la colère et de la honte monta au front de la jeune et fière fille.

— Vous ne nierez pas, je pense ?

— Enfin, dites-moi donc, monsieur Jackson, s’écria Olive en se levant avec un geste d’indignation, dites-moi si c’est pour me dire toutes ces brutalités que vous m’avez attirée ici ?

— D’abord, mademoiselle, votre mot « attirée » n’est pas juste. Ensuite, ces brutalités dont vous vous plaignez si brusquement vous les avec provoquées vous-même, parce que… le jeune homme, hésita un moment.

— Parce que ?… interrogea Olive avec un regard de défi.

— Parce que vous… m’avez menti ! acheva Jackson d’une voix grave.

— Ho !… Ce fut chez Olive une exclamation de rage. Elle avança vivement auprès de l’Américain et leva sur lui sa cravache. Il ne broncha pas. Il croisa les bras de nouveau et prononça dans un sourire très triste :

— Frappez !

Olive n’osa pas.

— Ah ! vous le méritez bien, dit-elle avec un ricanement sauvage. Ainsi donc, votre galanterie jusqu’à ce jour n’était qu’un masque ?

— Pourquoi ?

Sans répondre à cette interrogation, Olive, qui avait laissé retomber sa cravache, demanda :

— Depuis quand un galant homme ose-t-il dire à une femme que cette femme a menti ?

— Depuis, mademoiselle, que cette femme m’a demandé la cause de mes « brutalités », qui ne sont que l’effet de ses mensonges à cette femme.

— C’est assez, monsieur ! commanda Olive avec une hautaine autorité.

— Pas encore, répliqua tranquillement Jackson en tirant d’une poche intérieure de sa redingote un petit papier. Je veux vous faire part aussi d’une communication très importante vous concernant.

— Qu’est-ce ? demanda la jeune fille en se retournant avec une expression de curiosité.

— Écoutez, je lis « — Andrew Jackson, un Américain, se dit envoyé au Canada pour faire des études sur ressources naturelles, mais, en réalité, envoyé en mission pour travailler au ferment de révolte et approvisionner les rebelles d’armes et de munitions de guerre. Homme très dangereux. Serait opportun de lui faire repasser la frontière. »

Jackson se tut, regarda la jeune fille et se mit à rire tranquillement.

— Ah ! ah ! poursuivit-il au bout d’un instant, voilà quelque chose, enfin, qui semble avoir pour vous quelque intérêt, mademoiselle !

Olive, en effet, était toute décomposée. Son visage avait pâli sous le rouge. Ses lèvres, malgré le fard, blêmissaient. Ses mains tremblaient, et dans sa gorge serrée, on aurait pu entendre comme un rugissement qui en vain cherchait à se faire jour.

Par un violent effort de volonté elle parvint à donner à sa physionomie un calme apparent, et elle put demander dans un souffle de haine :

— De qui tenez-vous ce papier ?

— De la personne qui a jugé convenable de me le faire parvenir.

— Le nom de cette personne ?

— Quoi que vous pensiez de moi, mademoiselle, je vous déclare que je suis un galant homme, vous ne saurez pas le nom !