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L’AVEUGLE DE SAINT-EUSTACHE

maison de ferme où Louisette avait été conduite, pendant que le reste de la petite troupe, sur les instructions de Félix, continuait son chemin vers Saint-Benoît.

 

Immobilisés devant le cadavre du sieur Bourgeois, nos amis, Dupont, Le Frisé et La Vrille se demandaient par quel inconnu mystérieux La Vrille avait été assailli.

— Moi, disait ce dernier, j’crois pas aux revenants. Il y a donc un homme qui est entré dans la maison après moi, à moins qu’il n’y fût déjà et tandis que j’étouffais le vieux, l’homme inconnu m’a assommé.

— Si c’est vrai ce que tu dis, fit Dupont, l’homme doit être encore dans la maison ; car s’il était sorti par la porte, on l’aurait vu.

— Ce qui me ferait dire qu’il n’est pas sorti par la porte, dit Le Frisé à son tour, c’est que la porte était verrouillée à notre arrivée.

— Ça ne s’peut pas non plus qu’il soit sorti au travers des volets comme un esprit, ajouta Dupont.

— Si on visitait la cave, proposa La Vrille.

— C’est une idée, admit Le Frisé.

Et sans plus attendre il se dirigea vers une porte placée sous l’escalier. Les deux autres le suivirent.

La trappe fut levée. Un trou noir apparut aux yeux de nos amis, et une forte odeur de moisi leur monta au nez.

— Qu’un de vous autres apporte la bougie ! commanda Le Frisé.

Dupont courut à la table sur laquelle continuait de brûler une bougie de suif.

À l’aide de ce luminaire les trois amis descendirent dans la cave, mais il n’y purent découvrir aucune trace d’un être humain.

— Pas un chat ! dit La Vrille vexé. Je lui aurais si bien tordu le cou !

— Il nous reste encore le grenier à visiter, émit Le Frisé.

— Montons-y voir ! dit La Vrille.

Au moment où nos trois amis remontaient de la cave, quatre personnage pénétraient dans la maison.

De part et d’autres partirent des exclamations de surprise.

Des regards curieux d’abord, acérés ensuite, s’échangèrent.

La voix d’Olive se fit entendre, inquiète, tremblante :

— Quels sont ces hommes ?

On y voyait à peine dans la faible clarté projetée par la lueur de la bougie que tenait Dupont.

Un court silence suivit les paroles d’Olive. Puis, comme d’un commun accord, trois sabres furent rapidement tirés des fourreaux.

Mais pour répondre à la menace des sabres, trois couteaux brillaient sinistrement.

— Qui êtes-vous ? interrogea Félix d’une voix peu assurée.

— On va te le faire voir ! répondit La Vrille d’une voix sourde.

Alors, Dupont déposa la bougie sur une marche de l’escalier, et les trois amis se rapprochèrent lentement, le couteau levé du groupe formé par Olive et les trois militaires.

Instinctivement, ceux-ci firent un pas de recul.

Les trois compagnons allaient bondir…

Mais un cri perçant les arrêta.

Olive avait poussé ce cri. Et maintenant on pouvait voir la jeune fille, livide, penchée sur le corps inanimé de son père.

Le cri d’Olive, la lividité de ses traits, ce corps humain inerte, tout cela fut pour Félix un trait de lumière. Il prononça un juron et, le sabre haut, il s’élança sur les trois Patriotes.

Une voix impérative et retentissante l’arrêta net.

— Encore un pas, monsieur Bourgeois, un geste de plus, et vous êtes un homme mort !

Olive dans un cri de surprise, mais un cri dans lequel il n’y avait ni terreur, ni haine, prononça ce nom :

Andrew Jackson !…

Et Félix, en se retournant d’une pièce, aperçut en effet l’Américain qui du seuil de la porte qu’il n’avait pas encore franchie, le tenait en joue avec un pistolet. Derrière Jackson apparaissait Albert Guillemain avec une barre de fer dans ses mains.

Félix et ses deux compagnons reculèrent, gardant Olive au milieu d’eux comme pour la protéger contre les attaques des Patriotes qui, volontiers, ils prenaient, pour de véritables assassins.

Jackson et Guillemain s’étaient réunis aux trois autres Patriotes, et leur nombre à présent en imposait à leurs adversaires.

L’Américain salua Olive et dit d’un accent légèrement ironique :

— Cette fois au moins, mademoiselle, vous êtes bien accompagnée.

— Ah !…vous serez donc toujours sur mon chemin !… Olive avait déjà recouvré tous ses sentiments de haine et tous ses projets de vengeance. La première émotion causée par la surprise s’était dissipée.

— Ne vous ai-je pas prévenue, mademoiselle, que je me trouverais sur votre route chaque fois que vous tenteriez quelque œuvre de vengeance contre ceux que j’appelle mes amis ? Je tiens parole, voilà tout.