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L’ESPION DES HABITS ROUGES

Mais en passant près du prisonnier avec qui elle venait d’échanger un sourire, elle se pencha légèrement et souffla :

— Confiance… je vous délivrerai !…

— Hein ! que dis-tu, Denise ? interrogea Dame Rémillard.

— Je dis, maman, répondit la jeune fille, que le feu de la cheminée a besoin d’être ravivé !

— Tiens, c’est vrai. Eh bien ! j’y verrai tout à l’heure pendant que tu boiras ta potion.

Et les deux femmes poursuivirent leur chemin vers la cuisine où elles disparurent.

Pendant ce temps Nelson était allé à la porte d’entrée, l’avait ouverte et avait fait signe à Farfouille et Landry d’approcher. Ceux-ci obéirent, et le docteur leur donna quelques rapides instructions à voix basse. Puis il referma la porte et alla se poster devant la cheminée où il demeura un moment silencieux, tout en observant à la dérobée le prisonnier.

Celui-ci évitait de regarder Nelson. Le menton enfoncé dans le collet de sa capote, les yeux sur le foyer, il semblait retombé dans l’indifférence. Sur ses lèvres le sourire dédaigneux avait disparu. C’est qu’il redoutait peut-être plus celui qui était devant lui, qu’il n’avait craint les Patriotes et les villageois.

Nelson lui demanda à brûle-pourpoint :

— Que venez-vous faire, monsieur, dans nos parages ?

Cette fois, le prisonnier leva la tête, regarda le docteur avec un défi hautain et répondit rudement :

— Mes affaires, monsieur !

Violent comme il était, on aurait pu croire que Nelson allait bondir à cette réponse ; mais non, il sourit.

— Voilà, monsieur, répliqua-t-il sur un ton mordant, une réponse d’homme. Je vous félicite, mon ami. Vous irez loin avec une jeunesse si bien commencée !

L’autre haussa les épaules avec dédain.

— Eh bien ! reprit Nelson, je vais répondre mieux que vous ne l’avez fait : vous êtes venu ici pour espionner les Patriotes… pour trahir vos compatriotes canadiens ! Quel est votre nom ?

— Pourquoi me demander ce qu’on a dû vous apprendre ? fit avec humeur le jeune homme.

— Oui, je me rappelle qu’on m’a dit que l’espion arrêté venait de Montréal et qu’il se nommait André Latour. On a même ajouté que cet André Latour fait partie des régiments de Sir John. Mais j’ignore votre grade et ne sais pas davantage si vous êtes aux réguliers ou aux volontaires, bien que, à la vérité, je vous place parmi les volontaires. Voulez-vous me renseigner avec exactitude ?

Latour ne répondit pas.

— Je sais mieux, cependant, poursuivit Nelson légèrement railleur, que vous avez des attaches avec nos ennemis, car je connais votre père qui est un partisan des Loyalistes et un ami de Sir John, et je sais de quelle haine il est animé à notre égard. Or, ceci étant, je ne peux que conclure que vous, le fils, vous avez été envoyé ici par Sir John en mission d’espionnage. Est-ce la vérité ?

— Monsieur, répondit Latour avec impatience, je suis venu pour mes affaires, voilà tout !

— Très bien, mon ami, vous admettez donc que vous êtes venu nous épier pour surprendre nos secrets puis nous livrer à vos chefs ! C’est magnifique ! Seulement, je comprends que vous ignorez nos lois de guerre concernant les espions et les traîtres. Savez-vous ce que nous faisons de ces derniers ?

— Cela m’est égal !

— Oui, pour le moment ; mais un peu plus tard, je pense que vous changerez d’idée. Je vais tout de même essayer de vous délier la langue et d’assouplir votre caractère rétif. Tiens ! qu’est-ce cela ?…

Des cris retentissaient sur le chemin devant l’auberge.

Nelson alla à l’une des deux fenêtres de la façade et regarda la foule des villageois et Patriotes dont il percevait vaguement les silhouettes agitées dans le petit jour sombre. Mais il crut deviner ce qui se passait en entendant clamer ce nom :

— Coupal !… Voilà Coupal !… Vive Coupal !…

Il sourit et revint vers le prisonnier.

Déjà les bruits du dehors s’éteignaient et l’on ne saisissait plus qu’un sourd grondement.

Puis tout à coup la porte de l’auberge s’ouvrit, et un jeune homme parut, un jeune homme presque aussi grand que Nelson qui mesurait au-delà de six pieds de taille.

C’était Ambroise Coupal.

Il n’était pas beau, mais il avait bel air.