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L’ESPION DES HABITS ROUGES

lard et Félicie Coupal. Plusieurs maisons avaient été désertées, mais dans d’autres des femmes, des jeunes filles et des vieillards préparaient des bandes de toile, de la charpie et tout ce dont on pourrait avoir besoin pour les blessés.

Lorsque parut le premier détachement ennemi le village était rentré dans le calme et la tranquillité. Le chemin du roi demeurait tout à fait désert. Les paysans venus de la campagne avaient remisé leurs attelages dans les cours à l’arrière des maisons. N’eût été la fumée des cheminées, on aurait pensé que tout le village avait été abandonné par ses habitants.

Cependant quelques Patriotes avaient été vus par l’ennemi : aussi le premier bataillon envoyé par Gore en reconnaissance n’avança-t-il qu’avec circonspection. De petites escouades fouillaient les buissons en bordure du chemin, les haies, les fossés. D’autres longeaient le bord de la rivière sans rien découvrir de suspect, et partout régnait la solitude. Le bataillon approchait toujours, et il parut se rassurer tout à fait en découvrant que le Village était désert. Alors, il accéléra le pas. Bientôt il se trouva à portée de fusil de la maison des Saint-Germain qui semblait inhabitée. Mais, soudain, par les deux fenêtres d’en haut six coups de feu partirent presque en même temps. Quatre soldats tombèrent mortellement atteints. Un cinquième s’affaissa, blessé, mais il eut aussitôt la force de se relever et de prendre la fuite. Cette décharge inattendue et si meurtrière intimida le détachement qui retraita immédiatement, et même avec un certain désordre dans ses rangs, pour revenir sur le gros de la troupe. Au même instant par l’une des fenêtres une voix narquoise criait :

Attention !… Ready !… Fire !…

C’était Farfouille Lacasse qui, pour la deuxième fois, déchargea son fusil et abattit un fuyard. Plusieurs Canadiens l’imitèrent dont les balles cette fois ne firent que blesser deux ou trois fantassins.

Tout de même, un cri de triomphe partit de la maison de pierre :

— Bravo !… Vivent les Patriotes !…

Ce premier succès électrisa tout le monde.

On se mit à danser aux accords d’un accordéon violemment étiré par Landry qui n’avait pas son pareil à jouer de cet instrument. Farfouille Lacasse tapait une gigue à tout casser. La maison tremblait sur ses fondements. Mais on ne perdait pas de temps : des Patriotes rechargeaient activement les fusils qui fumaient encore. La senteur de la poudre qui emplissait déjà la maison semblait griser ces hommes.

Mais Nelson, devinant que l’affaire n’avait été qu’une première escarmouche et certain que l’ennemi en force ne tarderait pas, commanda le calme.

— C’est bien, mes amis, dit-il avec un sourire serein. Ménageons nos réjouissances pour plus tard. Tout n’est pas fini, ce n’en est que le commencement. Si je ne me trompe, vous allez avoir du bon travail à faire encore. Mais je tiens à le répéter : que ceux qui ont des scrupules ou qui ont peur se retirent ! Pour ma part, je veux me battre pour des libertés qui nous sont nécessaires, et j’aime mieux me faire tuer ici plutôt que de vivre dans l’esclavage !

— Et nous aussi nous voulons nous battre, tous ! clama le commerçant Pagé. Pas un de nous n’a peur ! Pas un n’a de scrupules ! Nous sommes des hommes et non des serfs ! Si nous sommes tués, nos femmes et nos enfants vivront sur nos lauriers et avec les libertés que nous leur aurons conquises ! Quoi qu’il puisse nous en coûter, lavons les outrages que nous avons trop longtemps soufferts !

— Pagé, je vous approuve, reprit Nelson. Au reste, vous le savez tous, mes amis, notre lutte n’est pas dirigée contre l’Angleterre ni contre les Anglais, mes compatriotes, ni contre les Canadiens, vos frères, mais contre un gouvernement lâche et prévaricateur, contre la tyrannie, voilà tout ! Donc, si parmi vous, mes amis, il en était qui se fissent un cas de conscience de cette affaire, qu’ils s’éloignent tandis qu’il en est temps encore !

Un silence solennel plana cette fois. Mais pas un homme ne lâcha son arme. Et Nelson sourit avec ivresse en voyant devant lui ces fronts durs et déterminés, ces yeux sillonnés d’éclairs, ces bouches crispées par un courage inébranlable.

— Bien ! reprit-il, content, j’ai confiance en vous !

Plusieurs crièrent :

— Nos droits, nos libertés, notre patrie avant tout !

Le dernier mot n’était pas tombé des lèvres de ces hommes, qu’une terrible détonation éclata à quelques arpents sur le che-