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L’ESPION DES HABITS ROUGES

qu’il longeait ensuite dans la direction du village.

— Patriotes, dit Nelson, continuez à faire votre devoir. Ménagez vos balles et ne tirez pas un coup que vous ne soyez certains d’atteindre un ennemi. Quant à moi, je cours donner des ordres à la distillerie et à Coupal. Je reviendrai bientôt.

Il quitta la maison malgré qu’on lui conseillât d’envoyer un Patriote à sa place. Il traversa le chemin du roi en courant sans recevoir un coup de fusil, car l’ennemi le vit trop tard.

À la distillerie où commandait un de ses lieutenants, Ovide Perrault, il donna l’ordre de surveiller les fusiliers qui s’avançaient le long de la rivière et de les repousser. Il traversa de nouveau le chemin, mais salué cette fois par une grêle de balles, dont l’une lui déchira la cuisse droite, et il courut à Coupal qui attendait impatiemment des ordres.

— Venez avec moi ! dit-il seulement.

Coupal le suivit. Les deux hommes grimpèrent sur un hangar et de là Nelson indiqua au jeune homme la troupe qui gagnait le bois.

— Il importe, dit-il, d’aller la déloger, car elle pourrait nous jouer un vilain tour. Êtes-vous l’homme ?

— Oui, répondit Coupal avec assurance. J’y vais avec mes Patriotes.

— Mais pas d’imprudences !

— Soyez tranquille, docteur, et vous ne regretterez pas de m’avoir confié cette tâche ! Au reste, mes hommes sont impatients, ils veulent se réchauffer à tout prix.

— Voilà l’occasion, qu’ils en profitent !

Nelson et son lieutenant sautèrent en bas du hangar, et, l’instant d’après, Coupal et ses soixante paysans armés de faux et de haches se glissaient le long des clôtures, dans les fossés, rampaient, gagnaient le bois…


VIII

PREMIÈRE CHARGE


On avançait sans bruit… D’ailleurs, les crépitements des fusils du côté du village pouvaient empêcher l’ennemi d’entendre l’approche des Patriotes. L’ennemi faisait du bruit lui-même en prenant ses positions dans le bois, et Coupal qui allait à la tête de sa petite troupe saisissait le bruit métallique d’armes heurtées, le cassement de branches et des commandements donnés à mi-voix par les officiers anglais.

De temps à autre Ambroise Coupal tournait la tête vers ses hommes et les comptait. Ils étaient tous là, pas un ne songeait à reculer.

Lorsque la troupe ne fut plus qu’à quelques arpents, Coupal s’arrêta. Lui et ses hommes demeuraient accroupis deux par deux ou trois par trois dans un fossé profond qui, à la saison des pluies, charriait l’eau des champs et des coteaux voisins vers la rivière.

— Mes amis, prononça le jeune homme à voix basse, nous arrivons au bout du fossé. Là, nous allons nous trouver à découvert. Pour nous protéger contre le feu des Anglais nous n’aurons que le mince rideau de broussailles qui entoure le bois. Nous ne voyons pas l’ennemi, mais lui peut nous voir. Nous quitterons le fossé et gagnerons la broussaille en rampant. Nous nous diviserons en deux groupes. Trente d’entre vous me suivront et nous tournerons le bois par l’Est, les autres par l’Ouest. Quand nous aurons atteint les deux extrémités de ce bois, je donnerai un signal, et nous nous lèverons tous en poussant des cris et des hurlements. Puis, nous nous aplatirons aussitôt, car il n’y a pas de doute que les Anglais vont nous envoyer une volée de balles. Après cela, nous nous élancerons à travers les arbres, et dame ! chacun devra y aller de soi-même et de son mieux. Tout ce que je demande, c’est de frapper sans pitié et de sortir l’ennemi de là.

— C’est ben ! dit un vieux Canadien encore solide et alerte, on n’aura rien qu’à bûcher dans le tas… Moé, j’ai ma hache !

Il brandissait une hache au taillant mince et brillant.

D’autres brandirent des faux, des piques, des fourches.

— Vous allez voir, monsieur Coupal, dit un jeune homme avec une assurance remarquable, que les Rouges vont se faufiler hors du bois en peu de temps !

Tout le monde approuva cette façon de parler qui devait sans doute correspondre avec les pensées de chacun.

— Oui, mais avec tout ça, fit un autre Patriote, je n’ai pas encore fumé une sacrée pipée de tabac depuis le matin !