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la belle de carillon

tre les boulets de canons il ne pouvait tenir longtemps. Aussi, avait-on élevé un autre mur semblable et parallèle à quatre pieds de distance du premier ; et ces deux murs étaient reliés l’un à l’autre par des pièces de bois transversales, puis le vide était comblé de pierres et de terre. On avait donc maintenant une muraille capable de résister au plus puissants projectiles du temps. La muraille formait une sorte de quadrilatère très irrégulier, avec bastions et courtines, saillants et redoutes. Mais ce n’était pas tout. À l’intérieur de cette muraille et tout le long de celle-ci se déroulait un large chemin de ronde qui traversait deux places d’armes, puis s’élevait une autre muraille avec parapets qui supportaient des pièces d’artillerie. Dans cette deuxième enceinte se trouvaient les bâtiments : corps de logis, casernes, magasins, arsenaux. Le corps de logis était réservé au commandant de la place, sa famille, ses serviteurs et aux principaux officiers. Il était flanqué d’une tour carré du haut de laquelle on pouvait découvrir une grande étendue de pays. Si ce fort, sur le point élevé où il était assis, eût été bâti en pierre, il aurait été une forteresse redoutable et presque inaccessible avec son camp retranché sur la pente qui s’abaissait doucement vers le Lac Saint-Sacrement, et avec ses fossés, ses ravins avoisinants et les divers ouvrages avancés qui en défendaient l’accès sur les quatre points cardinaux.

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Dans la salle d’armes du corps de logis, salle où se réunissaient d’ordinaire les officiers de la garnison, on avait exposé le cadavre du Commissaire. Il y avait là plusieurs officiers, dont Montcalm et Lévis, et tous, front découvert, demeuraient graves et silencieux autour de la couche funèbre. Une vingtaine de cierges alignés de chaque côté du corps éclairaient la salle. L’aumônier, à genoux, récitait tout bas les prières pour les trépassés. Tout à coup une porte s’ouvrit et le capitaine d’Altarez pâle et l’air inquiet, entra. Il se dirigea de suite vers le général Montcalm et à voix basse demanda :

— Est-il vrai, général, qu’on accuse le capitaine Valmont de meurtre et qu’on a décrété son arrestation pour le passer en jugement ?

— Rien de plus vrai, capitaine d’Altarez. Au fait, vous étiez l’un des seconds de Valmont ? Dites-moi où est le capitaine en ce moment, nous n’avons pu le découvrir nulle part.

— Le capitaine Valmont, général, vient de rentrer dans ses retranchements. Après l’affaire, lui et moi nous sommes allés sous les bois pour nous entretenir des circonstances qui ont précédé ce duel. Mais lorsque nous revîmes vers le fort, on nous apprit l’accusation de meurtre portée contre lui.

— Et n’avez-vous pas appris encore que le conseil de l’armée a décrété son arrestation ?

— Oui, général. Mais inutile d’envoyer des soldats pour arrêter Valmont, car Valmont sera ici avant une demi-heure, c’est lui-même qui l’a dit.

— Bien, Capitaine, j’aime mieux cela que d’envoyer chercher par la force un officier que j’estime, que je sais votre ami et qu’il me fait peine de le voir en si mauvaise posture. Je ne crois pas dans le bien-fondé de cette accusation qu’a formulée Madame Desprès, et n’eût été la majorité du Conseil, je n’eusse jamais demandé l’arrestation du Capitaine Valmont. Ah ! à ce propos, ajouta le général, je pense que Madame Desprès désire vous entretenir… Allez, Capitaine, il ne faut jamais faire attendre les dames !…

Souriant, Montcalm congédia le jeune officier des Grenadiers pour revenir prendre sa place dans le groupe toujours silencieux et grave de ses officiers.

D’Altarez traversa la salle d’armes, ouvrit une porte et pénétra dans un large vestibule où deux domestiques en livrée orange et or, mais dont le bras gauche portait à ce moment un bracelet de soie noire en signe de deuil, semblaient attendre les ordres de la maîtresse de la maison.

Le Capitaine des Grenadiers donna à l’un d’eux l’ordre de l’aller annoncer à Mme Desprès.

— Madame vous attend, Monsieur, répondit le domestique interpellé. Venez, je vais vous conduire.

D’Altarez suivit le laquais. Après avoir franchi deux salons, le domestique frappa doucement à une porte qu’une lourde draperie en fil d’argent et d’or masquait à demi, puis il s’effaça pour laisser libre le passage au jeune officier. L’instant d’après, la porte s’ouvrait de l’intérieur et