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la belle de carillon

surplus, Valmont croyait que Mme Desprès et sa fille avaient quitté le fort, car il avait été rumeur dans le camp le lendemain des funérailles du Commissaire que la mère et la fille devaient retourner à Montréal immédiatement. Ce message étonna donc Valmont grandement : d’abord parce qu’il pensait Isabelle partie et en route pour Montréal, ensuite parce qu’il s’imaginait et croyait qu’Isabelle l’avait oublié.

Voici ce qu’il lut, non sans une grande joie qu’il sut dissimuler aux yeux du soldat qui le lorgnait.

« Monsieur le Capitaine, vous me ferez grand plaisir si ce soir, à huit heures, vous vous trouvez à la porte du Fort. J’aurai une communication à vous faire… »

Isabelle.

Ce laconique billet voulait dire peu de chose… une communication « quelconque » qu’Isabelle voulait lui faire ! Et, pourtant, Valmont sentit toute son âme tressaillir de bonheur.

— Rapporte à Mademoiselle, dit-il au soldat, que je me rendrai à son désir.

Le soldat s’en alla. Valmont se mit à réfléchir, tantôt le cœur assailli de joie, tantôt d’inquiétude. Que lui voulait Isabelle ? Une communication… disait le billet. Était-ce un danger qui menaçait Valmont que lui ignorait et que connaissait Isabelle ? Mais un danger… d’où ? Valmont ne se connaissait pas d’ennemis. Il pensa tout à coup à d’Altarez, mais non comme à un ennemi. Puis le souvenir de Mme Desprès se présenta à lui… Quoi ! est-ce que la malheureuse veuve songeait à tirer vengeance ? Non, ce n’était pas possible. Incapable de résoudre le problème qui énervait son esprit, Valmont se mit à penser à Isabelle. Il se complut à la revoir, à se griser de ses charmes. Et c’était contre sa volonté. D’ailleurs, depuis deux jours toute sa pensée était remplie d’Isabelle. Ses nuits avaient été peuplées de beaux et radieux songes où étincelait l’image de la jeune fille. Mais entre lui et elle survenait l’image d’Altarez, qui se montrait à Valmont comme un ennemi. Alors le capitaine canadien avait de terribles soubresauts sur son lit, et il sortait de ses rêves et de son sommeil en poussant des grognements indistincts. Et la nuit d’avant il avait été si agité dans son sommeil que Bertachou, qui couchait à côté de lui, lui avait demandé s’il était malade.

— Non, avait répondu Valmont, c’est la chaleur, mon vieux…

— La chaleur !… Pourtant, avait songé Bertachou, les nuits sont fraîches, et quelquefois même elles sont plutôt froides.

— Il me semble, avait répliqué Bertachou, qu’il ne fait pas trop chaud.

Valmont s’était impatienté.

— Eh bien ! si ce n’est pas la chaleur, mettons que c’est le froid…

Et le capitaine s’était brusquement replongé dans le sommeil et dans ses rêves exquis.

Un peu intrigué, Bertachou, qui avait l’expérience de cinquante années d’existence, se mit à réfléchir. Puis il sourit…

— Je tiens le fil, se dit-il, c’est « la petite » Quoi ! c’est, plus clair que l’œil d’un chat !

Bertachou avait bien deviné. Plus que ça, il avait deviné ce que lui-même, Valmont, n’osait penser : que le Capitaine aimait Isabelle. Oui, Valmont aimait Isabelle, mais sans le savoir et encore moins le vouloir, attendu que la jeune fille lui paraissait une promise à laquelle il lui était, par les lois de l’honneur et de l’amitié, défendu de penser et de toucher.

Quoi qu’il en soit et quoi qu’il dût arriver, le capitaine se présenta à la porte du Fort sur les huit heures sonnantes. Bertachou avait accompagné son capitaine jusque-là, puis il s’était dirigé vers la cantine où, avait-il déclaré, il sentait le besoin de se mouiller un peu la luette.

C’était encore un de ces splendides crépuscules d’été remarquables surtout en ce pays accidenté avec ses lacs et ses rivières, ses bois touffus et nuancés, ses coteaux et ses montagnes. Le soleil venait de se coucher. De légers nuages, teints d’une ocre rouge ou jaune et à peine mobiles, flottaient au-dessus de l’horizon de l’Ouest semblables à des panaches de fumée sortis de quelques gueules de volcans inconnus. Puis toute la voûte du firmament était magnifiquement bleue, et à la voir se poser à la crête des monts lointains puis s’élever graduellement et à l’infini au-dessus des vallées profondes, cette voûte merveilleuse semblait être une immense coupole. Pleine d’échos mystérieux, elle retentissait de tou-