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LA BESACE D’AMOUR

incapables de toucher, d’effleurer ce magicien dont l’épée semblait une étincelle insaisissable…

Une voix forte domina tous les bruits de la bataille criant :

— Qu’on aille chercher l’intendant !

Malgré son âge, le baron de Loisel passait pour un escrimeur de premier ordre.

— Où est-il ? demanda une autre voix.

À la salle basse… auprès du mendiant et de Jean Vaucourt !

Tout en ferraillant activement Flambard saisit ces paroles échangées.

La salle basse !… pensa-t-il.

Le mendiant !…

Jean Vaucourt !…

Où était la salle basse ?

Par une porte latérale il découvrit un corridor, et dans ce corridor il aperçut un huissier s’élancer… il comprit.

Il bondit tout à coup, pratiqua une trouée sanglante dans la masse des gardes qui lui fermaient le passage et gagna le corridor. Il vit le huissier s’engager dans un escalier au bout du corridor. Mais à l’instant même apparut sur le palier la silhouette d’une jeune fille que suivait un garde. C’était Marguerite de Loisel.

Elle vit Flambard, elle le reconnut et poussa un cri d’épouvante et de détresse.

Flambard n’avait pas le temps de s’émouvoir maintenant il savait se trouvait la salle basse et il voulait s’y rendre.

L’huissier, qui s’était arrêté, avait une épée à la main et il en dirigea la pointe vers Flambard. Le garde tira la sienne, et se plaça résolument à côté de l’huissier.

Flambard eut une idée : il cria :

— J’ai demandé audience à monsieur le comte de Maubertin !

Il fonça sur le garde et l’huissier, ajoutant :

— Place valets de basse-cour !

Marguerite de Loisel n’eut que le temps de se jeter de côté, que Flambard se trouvait sur le palier culbutant le garde et l’huissier. Il entendit la clameur des gardes qui arrivaient derrière lui, il vit leurs épées réunies en gerbe pour le clouer contre le mur… il se lança dans l’escalier.

Au pied de l’escalier, dans cet autre corridor sur lequel ouvrait la salle basse, le baron de Loisel apparaissait agité, inquiet.

Il vit notre héros et ne put retenir ce nom jeté dans un cri d’épouvante :

— Flambard !

À cette seconde les trois gardes qui accompagnaient le baron refermaient la porte de la salle, mais pas assez tôt pour que Flambard n’entendit son nom par trois fois clamé par une voix bien connue de lui :

— Flambard ! Flambard ! Flambard !

Et lui, Flambard, se trouvait là, devant le baron livide qui venait de tirer son épée.

Flambard ricana et avec une révérence moqueuse prononça :

— Salut bien, monsieur le baron de Lardinet !

Tout à coup, comme par magie, le calme se fit de toutes parts dans le Château, et après l’ouragan qui venait de passer, ce calme apparut terrible : les épées s’étaient arrêtées comme suspendues, les cris s’étaient éteints dans la gorge de ceux qui le poussaient, et tous les personnages de cette scène frissonnèrent, hormis peut-être Flambard. Car un nom avait été jeté… un nom qui avait suffi pour apaiser le tumulte, pour arrêter l’ouragan.

Car du haut de l’escalier une voix avait lancé :

— Monsieur l’intendant-royal !

Et Bigot, calme et fier, apparaissait.

— Bas les fers ! commanda-t-il d’une voix douce, mais autoritaire…


CHAPITRE IX

OÙ LE MAÎTRE VÉRITABLE N’EST PAS BIGOT, MAIS FLAMBARD


François Bigot descendit accompagné du vicomte de Loys et du chevalier de Coulevent ; derrière suivaient Mme  de Ferrière et sa nièce toutes deux tremblantes : puis venait, livide, inquiète, Marguerite de Loisel. L’instant d’après tous ces personnages se trouvaient réunis devant la porte verrouillée et cadenassée de la salle basse devant laquelle deux gardes demeuraient.

Comme si l’on eût été dans l’expectative d’un évènement solennel, un grand silence s’était fait.

Bigot s’était arrêté, souriant d’un sourire sans signification. Son œil, à demi voilé et sournois, étudiait Flambard qui, l’épée nue sous le bras, épongeait son front ruisselant d’une main tranquille, comme aurait fait un journalier après une rude corvée. De fait, la corvée avait été terrible pour Flambard… mais il en avait vu bien d’autres !

Le baron surpris et très inquiet par l’arrivée si imprévue de Bigot, mais plus inquiété encore par ce Flambard, qui l’avait salué de monsieur le baron de Lardinet, et par la présence des deux femmes inconnues dont, pourtant par un effort de mémoire, il croyait reconnaître les traits, ou plutôt ceux de Mlle  de Maubertin, et présageant une catastrophe dont il se sentait incapable de parer les coups, le baron de Loisel tremblait de tous ses membres. Il regardait sa fille avec un commencement de désespoir. Non… décidément ce damné Flambard et ces deux femmes inconnues n’étaient pas là, avec M. François Bigot, pour son bonheur !

Il promena un regard anxieux autour de lui, comme s’il eût cherché une issue pour fuir ! Fuir !… il n’aurait pas fait un pas qu’une épée, peut-être celle de Flambard qui semblait le guetter du coin de l’œil, ne l’eût cloué quelque part. Tout autour de lui il voyait des gardes, beaucoup d’éclopés, c’est vrai, mais plusieurs encore solides et des huissiers, la dague à la main, qui, tous, sur un signe de Bigot se fussent jetés sur lui ! Il frissonna… un étourdissement faillit le faire chanceler. Il se raidit de toute sa vigueur, de toute sa force de volonté, et, pris au piège, il décida de payer d’audace… car l’audace pouvait le sauver ! Et au moment où l’œil voilé de Bigot glissait de Flambard sur le baron de Loisel, celui-ci commanda à ses lèvres, que crispait déjà l’effroi, un sourire mielleux et dit, en s’inclinant :

— Je suis tout honoré de recevoir monsieur l’intendant-royal !

Alors Bigot, par un jeu des paupières que ne surprit personne, fit un signe d’intelligence au baron que lui parut saisir et dont il parut également interpréter le sens : un rayon d’espoir éclata aussitôt dans la prunelle de ses yeux.