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LA BESACE D’AMOUR

d’hôtels approchaient le plus près les maîtres du logis, par conséquent des êtres d’importance considérable par leurs fonctions délicates et fort honorables. Et leur importance se manifestait d’autant plus auprès du commun des humains, que ces honorables huissiers se savaient approchés par des personnages de haute marque, et ceci n’était pas mince honneur ! Mais pour que messeigneurs les huissiers subissent toute l’ivresse de cet insigne honneur, fallait-il encore que le personnage fût de marque supérieure ! Sans quoi il y avait souvent importunité à les approcher, par conséquent il y avait mauvais vouloir de leur part, et souvent malveillance, quand il n’y avait pas violence. Aussi les huissiers du Château Saint-Louis jugèrent-ils à première vue que le personnage qui venait de se présenter n’avait rien de marque supérieure, ni de haute marque, pas même de marque quelconque, et que c’était là un fâcheux qui en serait pour ses frais, pas et démarches !

L’un d’eux avec un sourire narquois indiqua une banquette et dit en soufflant du nez :

— Si mossieu veut prendre un siège…

Il s’inclina avec une grimace moqueuse qui fit rire les autres.

Flambard ne sourcilla pas. Il vit au fond du vestibule une grande porte vitrée. Là c’était le parloir. Il ne le savait pas, mais il se disait que pour atteindre un bâtiment il faut aller au cœur, de même qu’on atteint un homme en le frappant au cœur ; et le cœur d’un bâtiment c’était le centre. Flambard marcha donc vers la porte vitrée, après avoir rudoyé un huissier qui n’avait pas eu l’heur de s’écarter assez tôt.

— Holà ! cria un huissier.

— Ohé ! l’homme… où vas-tu ? demanda un autre.

— À mes affaires ! répondit tranquillement Flambard.

Il avança vers la porte vitrée.

Les six huissiers lui barrèrent la route résolument c’étaient six colosses !

Flambard croisa les bras et se mit à ricaner.

Les huissiers s’entre-regardèrent.

L’un dit en fronçant le sourcil :

— Il se moque de nous, je pense !

— Il a du nez ! fit un autre.

Flambard passa sa main sur le milieu de son visage, flatta son aquilin et continua de ricaner. Il méditait tout en examinant les autres du coin de l’œil.

— C’en est trop ! dit un autre huissier en portant la main à la poignée d’une dague cachée sous son habit noir.

D’un geste autoritaire Flambard l’arrêta.

— Pas de ça ! dit-il.

— Mais tu te moques de nous !

— C’est vrai ! répondit franchement Flambard.

— Il ose l’avouer ! s’écria un huissier scandalisé et furieusement outragé.

— J’avoue toujours et j’affirme ! répliqua Flambard sans perdre une parcelle de son calme. Et j’avoue encore, poursuivit-il, que vous vous êtes six sots si pleins de sottises qu’ils débordent et rejaillissent sur vos faces qui en sont toutes sottes !

— Ah ! par exemple, quel escogriffe ! exclama un huissier avec un air dégoûté.

— Merci, répondit Flambard, l’Escaut coule poliment, la grive jase harmonieusement, mais vous, gardeurs de sépulcres, vous m’agacez terriblement les oreilles à la fin… Place ! rugit-il tout à coup de sa voix nasillarde.

— Alerte ! clama un huissier.

Flambard saisit l’un d’eux et le lança à travers la porte vitrée qui vola en éclats.

— À nous, Gardes ! hurlèrent les autres.

Flambard avait exécuté un bond terrible et s’était trouvé dans le parloir.

Mais au bruit de la porte brisée, à l’appel des huissiers, une dizaine de gardes apparurent dans un escalier qui conduisait aux étages supérieurs. Puis de la cour intérieure du Château surgirent les six gardes… si bien que Flambard se vit la minute d’après en face de seize épées, seize épées qui maintenant, allaient l’entourer et le transpercer d’outre en outre. Il recula contre l’un des murs et s’y adossa. Jusque là ses traits étaient demeurés quelques peu indistincts à cause de la demi-obscurité qui régnait dans le parloir. Mais là, contre le mur, une croisée haute et large qui recevait le jour à deux pas de lui, l’éclaira en plein.

Alors un garde jeta cette exclamation imprécatoire :

— Ah ! par l’enfer ! c’est le maudit Flambard !

Ce garde avait connu Flambard le même après-midi de ce jour en l’auberge L’OLYMPE.

Et aussitôt ce nom « FLAMBARD » résonna avec curiosité, avec admiration, avec effroi sur toutes les lèvres.

Il y eut une stupeur indéfinissable… il y eut presque une panique… il y eut certainement du désarroi, puisque des épées s’écartèrent prudemment, reculèrent…

Flambard profita du désordre.

Il fit un saut en l’air, retomba sur le parquet, s’écrasa jusqu’à s’aplatir, ricana lourdement…

La stupéfaction fut au comble parmi les gardes, huissiers, portiers, et autres espèces de valetaille accourues de tous les recoins du Château.

Flambard se releva, se redressa comme un ressort, exécuta une pirouette, fit un autre bond cette fois vers les gardes, poussa un cri formidable… Et alors, chose inouïe, on le vit avec une épée en sa main droite, et à ses pieds gisait un garde à demi assommé.

Dès lors ce fut la bataille… la bataille d’un contre cent !

Mais Flambard en valait bien cent et cent autres de ceux-là qui, pour la plupart, tiraient l’épée d’une main tremblante… de ceux-là qui, n’eut-ce été le devoir, eussent pris la fuite, épouvantés qu’ils avaient été au seul nom prononcé de « Flambard ».

Et l’épouvante grandissait… car au premier choc du fer contre le fer trois gardes étaient blessés !

Car au deuxième choc, deux autres gardes étaient perforés de part en part par l’épée de Flambard ! Et l’épée sanglante sifflait, perçait étincelait comme l’éclair, abattait comme la foudre…

Et Flambard déclamait :

— J’embroche trois dindons… j’embroche cinq dindons… où sont les autres ?

Une terrible clameur s’élevait autour de lui les jurons, les cris, les appels se confondaient avec le bruissement de l’acier heurtant l’acier le fer vibrait, pétillait, et les gardes reculaient