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LA BESACE D’AMOUR

— Il est difficile d’admettre une telle hypothèse, lorsque ces deux cadavres sont là.

— Justement. Et c’est pourquoi je suis porté à croire que monsieur de Maubertin et mademoiselle Héloïse ont été arrachés à l’incendie, ou se sont sauvés d’eux-mêmes !

— Mais comment expliquer l’ignorance qu’on semble avoir à Québec de cet accident ? Et ensuite, bien que je sois aussi désireux que vous, Flambard, de retrouver vivants monsieur le comte et sa fille, comment se fait-il que, ayant échappé à cet holocauste, ils n’aient pas donné la sépulture à ces deux cadavres ?

Flambard ne répondit pas, il méditait.

Après un long silence il dit :

— Mon ami, j’avais cru démêler les fils d’un mystère, mais là vous m’embrouillez tout à fait. Oui, si monsieur le comte et sa fille sont sains et saufs, pourquoi ne sont-ils pas venus retirer de ces cendres ces deux cadavres, dont l’un était sa sœur, l’autre son domestique ?

— Une chose, émit Jean Vaucourt, qui pourrait apporter une certaine solution à ce problème : des passants ou des paysans des alentours auraient pu venir au secours de ces malheureux et arracher le comte et sa fille du brasier.

— Et s’ils avaient reçu des brûlures graves, continua Flambard, ces passants ou paysans les auraient emmenés avec eux pour leur donner les soins dont ils avaient besoin ?… Vous avez peut-être raison, et c’est là l’hypothèse la plus plausible. Toutefois, poursuivit Flambard, il peut se présenter une autre hypothèse, au cas où, par exemple, cet incendie serait l’œuvre d’une main criminelle et vengeresse !

— Que voulez-vous dire ? s’écria Jean Vaucourt avec stupeur.

— Je veux dire que monsieur le comte avait en ce pays des ennemis qui aient pu allumer cet incendie ! Je veux dire encore que le comte et sa fille, en supposant qu’ils soient parvenus à se sauver de la maison en flammes, auraient bien pu tomber sous le poignard meurtrier de leurs ennemis quelque part, par exemple, dans ces bois.

— Mais remarquez aussi, Flambard, que monsieur le comte et sa fille auraient bien pu être absents lors de ce désastre !

— Mais ils seraient revenus, répliqua Flambard, ils auraient donné la sépulture à ces deux cadavres, l’évènement aurait été connu dans la ville et nous en aurions été instruits dès notre arrivée. Votre père lui-même, tout le premier, nous aurait appris cette terrible nouvelle. Et encore, si monsieur le comte avait échappé soit à l’incendie, soit au poignard d’assassins, il n’aurait pas manqué de me faire parvenir un message quelconque !

— Vous redoutez donc un malheur plus grand que celui que nous constatons à présent ? demanda Jean Vaucourt.

— Hélas ! murmura seulement Flambard.

Le silence s’établit encore entre les deux hommes.

Puis Jean Vaucourt proposa d’aller visiter les autres ruines qu’on apercevait un peu plus loin.

Là, où s’était élevé le hangar, on retrouva des ferrailles qui avaient servi au cabriolet ; car ce hangar, comme l’avait fait remarquer Flambard, servait aussi de remise.

Plus loin, là où était l’étable, on retrouva les cadavres d’un cheval et de deux bœufs.

Flambard regarda autour de lui, ses yeux un moment se fixèrent sur le champ près de là et la moisson qui demeurait debout. C’étaient des orges et des avoines que les gelées récentes avaient roussies.

— Une chose sûre, dit Flambard, cet incendie s’est produit avant la coupe de la moisson, c’est-à-dire dans le cours du mois dernier, et probablement vers la fin du mois.

— Je pense comme vous, répliqua Jean Vaucourt.

— Et à présent, reprit Flambard, si ce n’est pas l’œuvre d’un criminel, comment se fait-il que ces trois constructions, assez écartées l’une de l’autre aient été consumées en même temps.

— On pourrait admettre que le vent ait pu lancer des flammèches sur le hangar et l’étable, si toutefois l’incendie s’est déclaré dans la maison !

— Oui, mais moi, dit Flambard en secouant la tête, je n’admets pas cela : je suis assuré à présent qu’il y a crime, qu’il y a eu vengeance ! Venez capitaine, ajouta-t-il en entraînant le jeune homme vers la route par laquelle ils étaient venus, allons visiter la lisière de ces bois !

Mais là où Flambard avait un moment pensé retrouver d’autres cadavres, pas un indice ne s’offrit aux regards des deux hommes.

— Nous perdons notre temps, dit Jean Vaucourt ; le plus sûr moyen d’apprendre la vérité, c’est de faire des recherches par la ville et d’enquêter sans faire de bruit et sans éveiller l’attention des criminels, si l’hypothèse d’un crime est la seule plausible.

— C’est juste, admit Flambard, c’est l’unique moyen. Retournons à Québec.

Au moment où les deux hommes sortaient du bois et allaient s’engager sur le chemin pour aller reprendre leurs montures, Jean Vaucourt heurta du pied quelque chose qui rendit un son métallique.

Il s’arrêta, regarda à ses pieds et aperçut un objet qui avait la forme d’un sac. Il se baissa, prit l’objet, l’éleva et fit entendre une exclamation de stupeur :

— Voyez donc, Flambard…

Flambard qui venait de s’arrêter, se retourna vit l’objet et s’écria :

— Par les deux cornes de Satan ! n’est-ce pas la besace du père Achard ?

— La besace que ces messieurs de la gentilhommerie ont appelée « La Besace d’Amour » se mit à dire Jean Vaucourt.

— Hé ! oui, je reconnais bien la besace du père Achard. Mais besace d’amour ou besace de haine, voyons ce qu’il y a dedans, car elle m’a l’air un peu lourde !

— C’est vrai, admit le jeune homme, elle renferme quelque métal ou ferrailles…

— N’importe ! dit Flambard avec satisfaction, c’est une trouvaille qui pourrait nous être utile !

Jean Vaucourt déposa la besace par terre et se mit à la fouiller. Il en retira un marteau, une lime, un vilebrequin, une petite scie et un poignard.

— Ho ! ho ! exclama Flambard voilà un assortiment un peu étrange ! Laissez-moi voir ce poignard, les armes m’intéressent toujours avant toutes autres choses.