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LA BESACE D’AMOUR

d’empoigner, de cet homme se fit un bouclier d’abord, puis réussit à lui prendre son épée, envoya le pauvre diable contre le mur d’une maison où il s’assomma et s’évanouit, et Flambard, triomphant, apparut aux yeux de ses ennemis avec une épée à la main.

Il n’en fallut pas davantage pour mettre fin au combat : la seconde suivante, la bande s’était éclipsée !

Flambard se mit à rire tranquillement. Puis il appela :

— Hé ! Jean Vaucourt !…

Nulle voix ne répondit.

Et les maisons du voisinage demeuraient silencieuse, car le bruit des épées avait intimidé les habitants des alentours. Par crainte de s’attirer quelque vengeance ou quelque horion, chacun se tenait coi dans sa maison, n’osant pas même pousser le volet pour jeter sur la rue un regard curieux.

Flambard aperçut l’homme qui gisait inanimé à trois pas de lui. Il s’approcha, le releva, le chargea sur ses épaules et marcha vers la demeure du père Vaucourt, pensant que le capitaine s’y était réfugié et qu’il l’attendait.

Mais quand il s’arrêta devant la maison du père Vaucourt, il fut tout étonné de trouver les volets bien hermétiquement clos et sans un filet de lumière qui perçait de l’intérieur. Il frappa à la porte. Nulle réponse. Il ouvrit cette porte et pénétra dans une pièce obscure et tiède. Le feu de l’âtre était mourant, mais quelques tisons rouges permettaient de se guider dans la pièce. D’ailleurs Flambard connaissait les aîtres. Au-dessus de la cheminée, sur une tablette, il savait trouver une boule de suif qui servait de luminaire au père Vaucourt. Flambard déposa sur le plancher son fardeau et alla à cette tablette. Il trouva la boule de suif et parvint à l’allumer aux braises du foyer. Alors, en se relevant et en regardant autour de la pièce il aperçut vers le centre et gisant à terre dans une large mare de sang le cadavre du père Vaucourt.

— Par les deux cornes de Satan ! murmura Flambard qui ne jurait que dans les grandes circonstances.

Puis il remarqua que l’homme qu’il avait emmené sur son dos était un garde du Château Saint-Louis. Mais ce garde lui importait peu.

Flambard se baissa vivement et se pencha sur le corps inanimé du vieillard. Un frisson involontaire le secoua des pieds à la tête : il venait de découvrir un poignard qui demeurait enfoncé dans la poitrine du vieux, et ce poignard ressemblait énormément, au premier coup d’œil, à celui que Jean Vaucourt avait trouvé dans la besace du père Achard. Ce poignard était aussi à manche d’ivoire. Doucement Flambard le retira, du sang gicla de la plaie qui paraissait béante ; on eût pensé que le meurtrier, après avoir planté son arme, l’avait tournée et retournée dans la plaie pour permettre au sang de jaillir en plus grande abondance. Le poignard, que Flambard examinait, était effectivement le même ou, du moins, il était tout à fait semblable à celui de la besace. Sur le manche c’étaient les mêmes lettres gravées l’une dans l’autre. Le nom du baron de Loisel surgit à la pensée de Flambard.

— Est-ce donc un véritable démon, que ce maudit Lardinet ? murmura Flambard.

Il palpa le vieux et découvrit que le corps était encore chaud. Ce meurtre était donc tout récent… une heure ne s’était peut-être pas écoulée…

Flambard se mit à considérer encore l’arme sanglante, il vit les lettres entremêlées F.L., puis il tressaillit. Une effrayante pensée venait de l’assaillir. Est-ce bien sensé de penser que Jean Vaucourt soit venu assassiner son père ? Allons. Flambard ! allons, mon vieux, tu déraisonnes sûrement ! Décidément tu en perds plus que tu n’oserais penser ! Non, non… Jean Vaucourt n’a pu assassiner son père ! C’est simplement stupide une telle pensée ! Ah ! oui, tu te fais vieux mon pauvre Flambard, et il n’y aurait rien de surprenant qu’un de ces soirs tu te laisses par ces imbéciles de gardes embrocher comme dindon à la Noël… fichtre !

Flambard se leva, alla déposer sa bougie sur une table, essuya le poignard à une guenille qui traînait sur le plancher et l’enfouit sous ses vêtements. Puis il revint au cadavre du père Vaucourt. Alors il remarqua que le garde, les yeux grand ouverts, le regardait avec effroi et étonnement.

— Ah ! ah ! ricana Flambard, tu as rallumé tes deux chandelles et tu me reluques ?… attends !

Flambard alla à une armoire, fouilla, trouva des ficelles, revint au garde et se mit à le ligoter solidement. Cela fait, il l’enleva et alla le déposer sur un banc près de l’âtre.

Ensuite ce fut le cadavre du père Vaucourt qu’il alla porter sur un lit d’une chambre voisine, et sur le cadavre il jeta une couverture.

Il revint ensuite au garde et dit avec un accent terrible :

— Maintenant, mon gaillard, à nous deux !

Le garde eut peur de l’expression qu’il vit sur les traits de Flambard et ferma les yeux.

Quand il les rouvrit, par curiosité à cause de certain bruit qu’il entendait, il aperçut Flambard qui ravivait les braises du foyer et sur lesquelles il jetait, du bois. Bientôt des flammes hautes et claires jaillirent.

— Voilà ce qu’il me faut ! murmura Flambard avec un sourire satisfait.

Du foyer il approcha un escabeau, puis il alla prendre le garde dans ses bras et vint l’asseoir sur l’escabeau devant les flammes qui pétillaient joyeusement. Flambard enleva les guêtres qui emprisonnaient les jambes du garde, retira ses chaussettes et le mit pieds nus. Puis il prit ces pieds, les éleva et les posa au-dessus des flammes. Le garde poussa un cri de douleur.

Flambard abaissa les pieds, regarda le garde et dit narquois :

— C’est un peu chaud, hein ! attends…

Il prit une serviette et en fit un bâillon pour empêcher le garde de crier. Puis, tranquillement, comme s’il se fût agi de la chose la plus simple du monde, il saisit de nouveau les jambes du garde et posa ses pieds au-dessus des flammes.

Cette fois le garde fit un saut sur son siège et faillit tomber à la renverse et entraîner avec lui Flambard.

Lui, avec humeur, demanda :

— As-tu le mauvais esprit au corps ? Attends.

Dans la même armoire il trouva d’autres ficelles avec lesquelles il attacha le garde sur son siège, et si proprement qu’il lui était impossible de bouger.