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LA BESACE D’AMOUR

Puis il se remit à la même besogne. Mais avant de mettre les pieds du pauvre diable dans les flammes rouges, cette fois Flambard lui jeta un regard froid et pénétrant et demanda sur un ton menaçant :

— Veux-tu parler et me dire ce que je veux savoir ?

Le garde fit un signe affirmatif de la tête.

— C’est bon, dit Flambard.

Il enleva le bâillon.

— Jure-moi, reprit-il, que tu vas me dire la vérité !

— Oui… si vous me laissez aller en liberté ! répondit le garde avec un regard de haine.

— Je te promets la liberté, mais seulement lorsque j’aurai vérifié ; est-ce compris ?

— Oui.

— Bien. Pour commencer, dis-moi de suite qui t’a donné l’ordre à toi et à tes coquins de camarades de m’occire ce soir ?

— Je ne sais pas.

— Tu ne sais pas… Flambard se mit à ricaner.

— Je dis la vérité, assura l’autre : deux camarades sont venus me trouver à l’auberge où j’étais avec d’autres gardes, et ils ont proposé de prendre leur revanche contre vous !

— Ils savaient donc que j’étais de retour à Québec ?

— Oui.

— Et tu es sûr que ce guet-apens de tout à l’heure n’a pas été médité et préparé par certain personnage de marque ?

— J’en suis sûr.

— Tu ne mens pas ?

— Ça ne me servirait de rien.

— Soit. Maintenant, qui a assassiné ce vieux ?

— Je ne sais pas.

— C’est bon je te passe celle-ci. Tu fais partie, n’est-ce pas, de la maison de M. de Vaudreuil ?

Le garde parut hésiter un moment, puis il répondit :

— Je fais partie des gardes du Château.

Flambard sourit et demanda encore.

— Connais-tu un certain baron de Loisel ?

— Je l’ai connu.

— Ah ! ah ! et tu ne le connais plus ?

— Je veux dire que je ne sais ce qu’il est devenu.

— Tu connais aussi un certain comte de Maubertin et une demoiselle de Maubertin ?

— Pour les avoir vus une fois, oui.

— Où ?

— Au Château.

— Au mois de mai dernier ?

— Oui.

— Et sais-tu ce qu’ils sont devenus ?

Avant de répondre, le garde eut une ombre d’hésitation qui n’échappa pas à Flambard.

— Non, répondit-il.

— Jusqu’à ce moment, reprit Flambard sur un ton fort sévère, tu m’as dit à peu près la vérité ; mais ta dernière réponse n’est pas satisfaisante.

Il reprit le bâillon.

Le garde l’arrêta.

— Attendez, dit-il. Il demanda aussitôt : Que voulez-vous faire de moi ?

— Te brûler à petit feu jusqu’à ce que ton âme de chien menteur aille chez le diable à mille cornes et à mille queues pour y rôtir à grand feu le reste de ton éternité maudite !

Et Flambard approcha le bâillon.

— Interrogez encore ! dit le garde ressaisi d’effroi.

— Je n’interroge jamais deux fois. Est-ce non ? Est-ce oui ?… Réponds !

— Je ne me souviens pas au juste de ce que vous m’avez demandé en dernier lieu.

— En ce cas, ouvre bien tes ouïes : sais-tu ce que sont devenus monsieur le comte de Maubertin et sa fille ?

— Oui…

— Ha ! ha ! se mit à ricaner Flambard, tu y viens, mon garçon… Où sont-ils ?

— Quant à la jeune fille, je ne peux préciser ; mais le comte est, paraît-il, chez monsieur Cadet.

— Le munitionnaire escroc, voleur, brigand ? Le…

— Lui-même.

— Tu dis : parait-il… N’en es-tu pas sûr ?

— Non. Je sais seulement qu’il était là il y a un mois.

— Un mois… Et comment y était-il ? de lui-même ?

— Non, par de lui-même que je sache. Il a été emmené là, blessé et presque mourant.

— Blessé comment ?

— Un accident… un… Je ne sais rien de plus.

— Un incendie, peut-être ? demanda Flambard avec un sourire ambigu.

— Peut-être bien… je ne sais pas.

— Tu n’as donc pas entendu parler d’un incendie quelque part dans la campagne environnante ?

— Non.

— Et quand à la fille de monsieur le comte, tu ne sais rien de précis ?

— Rien.

— Tu ne l’as pas revue ?

— Non.

Flambard comprit qu’il n’en pourrait savoir davantage, et il se mit à réfléchir pour essayer de pénétrer quelque peu l’obscurité du mystère au fond duquel il pataugeait, mystère qui semblait s’approfondir pour lui surtout depuis l’instant où il avait découvert le cadavre du père Vaucourt assassiné par une main inconnue. Il se demandait à quoi avait pu servir ce meurtre ? Quels ennemis pouvait avoir ce vieux inoffensif et paisible ? À moins, pensa Flambard, qu’il possédât quelque secret terrible, dont la révélation pouvait devenir dangereuse pour le jeu de certains coquins de grande envergure qui administraient les affaires du pays, tels que Bigot, Cadet et consorts ? Ou bien, ce meurtre, avait-il été commis uniquement par vengeance contre Jean Vaucourt ?

Après un long moment de méditation, Flambard dit au garde :

— J’ai affaire à sortir, particulièrement pour me restaurer l’estomac, car j’ai faim et soif. Seulement, comme je tiens à vérifier, tu vas demeurer ici et tu ne t’enfuiras pas ?

— Je resterai ici, assura le garde.

Mais Flambard, très défiant de sa nature, pensa avec justesse que le garde prendrait la poudre d’escampette à la première chance, et il pourrait, par rancune contre Flambard qui lui avait quelque peu rossi la plante des pieds aller mettre en garde ses amis et maîtres

Flambard sourit, retourna à l’armoire qu’il fouilla vivement. Il parvint à découvrir un