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LA BESACE D’AMOUR

Un ami !… Oui, elle avait cru son père ! Oui ce jeune homme, de si noble attitude, ne pouvait être qu’un ami ! Elle y pensa longtemps à cet ami… elle y pensa toujours avec l’ardent désir de le revoir. Mais le reverrait-elle ? Il était parti pour les champs de bataille… d’où l’on ne revient pas toujours ! Et ce désir ardent de revoir Jean Vaucourt avait jeté de l’inquiétude dans son âme, et avec cette inquiétude elle avait effroyablement redouté de ne plus revoir le beau jeune homme. Elle en avait souffert !

Mais — était-ce un rêve ? — voilà que Jean Vaucourt lui était apparu à l’improviste… Jean Vaucourt, toujours noble, toujours fier, toujours courageux, toujours beau ! Il lui avait même dit, ce beau cavalier, qu’il voulait arracher son père, à elle, des mains de ses ennemis ! Et aux belles qualités morales qu’Héloise lui connaissait venait s’ajouter la générosité des grands héros ! Et alors le doux attrait que la jeune fille avait éprouvé devenait irrésistible, et son cœur, son âme, son esprit, tout son être enfin allait impétueusement à ce jeune canadien qui possédait toutes les vertus de la plus pure gentilhommerie française ! Mais cependant, Héloïse de Maubertin n’osait encore s’avouer qu’elle aimait Jean Vaucourt, de même que le jeune capitaine n’osait s’avouer qu’il aimait Marguerite de Loisel. Non pas qu’Héloïse perçut la trop grande différence de rang entre elle et le capitaine, car elle reconnaissait que le plus simple mortel pouvait avoir la noblesse de l’âme sans posséder celle du nom ; mais ce sentiment de l’amour qui la troublait, sentiment qu’elle n’avait jamais encore éprouvé jusqu’au jour où elle avait vu Jean Vaucourt, lui causait une sorte d’émoi qui l’empêchait de se laisser aller librement et tout entière à l’attrait ressenti.

Et pourtant, elle succomba, enfin, à cet attrait puissant, parce que le rêve l’emporta dans les bras de Jean Vaucourt à qui elle se vit fiancée, parce que son père avait dit : « Voici l’époux que je t’ai choisi, Héloise ! » Et son père semblait heureux, Jean Vaucourt paraissait heureux, et elle… elle était heureuse… si doucement heureuse !

Et alors qu’elle voulait savourer la coupe délicieuse, alors qu’il lui semblait qu’un paradis s’ouvrait devant elle, elle sursauta sur son fauteuil, s’éveilla et se mit à considérer avec étonnement le personnage qui se tenait debout et demi courbé devant elle. Elle ne poussa pas un cri d’épouvante, parce qu’elle ne s’en sentit pas la force, en reconnaissant l’ennemi implacable de son père, le baron de Loisel.

— Vous ai-je fait peur, mademoiselle ? demanda le baron avec un accent auquel il essayait de donner une grande douceur.

— Que voulez-vous ? demanda Héloïse dans un souffle.

— Moi, rien, mademoiselle, et je vous demande pardon du trouble que je vous cause ; mais j’obéis à des instructions reçues de Marguerite. Tenez, mademoiselle, voici ce qu’elle m’a commandé de vous remettre !

Le baron, ce disant, tendait à la jeune fille un bout de papier plié en deux.

Héloïse reçut ce papier d’une main tremblante et se mit à lire avidement ces lignes qu’elle crut tracées de la main même de Marguerite de Loisel :

« Ma chère Héloïse, j’envoie mon père vous chercher pour vous conduire près de nous, Jean Vaucourt et moi. Mais avec nous est aussi une personne qui vous est chère, une personne qui languit dans l’attente de vous revoir et de vous embrasser. Oubliez vos peines, chère amie, et venez là où, enfin, le bonheur vous attend ! »

Émue et frémissante de joie la jeune fille regarda le baron sans rien soupçonner des intentions du bandit, et elle demanda, comme si elle eût voulu donner à ses oreilles la satisfaction qu’avaient eue ses yeux :

— Vous devez savoir, monsieur, que cette personne, dont me parle Marguerite…

L’émotion étouffa sa voix.

Le baron comprit, et, souriant répondit ;

— Oui, mademoiselle, je sais que c’est votre père !

— Mon père… Ah ! monsieur, que je suis contente ! Ainsi donc, vous allez m’emmener vers lui ?

— Encore une fois je dois obéir aux ordres de Marguerite : une voiture nous attend à la porte venez !

— Attendez un moment, que je mette une mante sur mes épaules !

Légère et vive Héloïse courut à sa chambre pour en revenir l’instant d’après, prête à partir.

Mais dans ce court instant le baron avait eu le temps de ramasser sur le tapis du salon le poignard qu’y avait laissé tomber Marguerite après qu’elle en eut frappé le vicomte de Loys. Le baron avait aperçu ce poignard, qu’il avait de suite reconnu au moment où Héloïse de Maubertin sortait de son rêve. Il y avait même remarqué un peu de sang à sa pointe brillante. À quoi avait servi l’arme ? Pourquoi avait-il été jeté par terre ? Le baron se sentait dévoré par une curiosité ardente. Mais Héloïse reparut, et il fut bien forcé de mettre de côté des questions qui brûlaient son âme de démon.

Il esquissa un sourire et une courte révérence devant la jeune fille et demanda avec un accent débonnaire :

— Dois-je prévenir les deux femmes de service de votre départ ?

— Je ne sais, murmura Héloïse. Peut-être sont-elles maintenant au lit. Car il est déjà bien tard, n’est-ce pas ?

— Il est dix heures et quelques minutes, mademoiselle. Au fait, ajouta-t-il, Marguerite va revenir dans une heure, et ce serait peine inutile de réveiller ces pauvres filles.

— C’est vrai, monsieur. En ce cas, partons ! dit la jeune fille, impatiente de rejoindre son père.

— Soit allons ! dit le baron qui précéda Héloïse dans le vestibule et vers la porte de sortie.

L’instant d’après la calèche, emportant le baron et Héloïse, prenait la direction de la Basse-Ville.

La jeune fille fut saisie pour la première fois d’un soupçon :

— Mais, dit-elle, ce n’est pas de ce côté qu’est la demeure de monsieur Cadet !

Le baron saisit le sens de ces paroles et il répondit sur un ton bonhomme :

— Je sais, mademoiselle. Mais j’ai oublié de vous dire que Marguerite et Jean Vaucourt, de chez monsieur Cadet, ont conduit votre père