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LA BESACE D’AMOUR

à la Basse-Ville, chez le père de Jean Vaucourt. C’est donc là que nous allons.

Cette explication naturelle rendit la confiance à la jeune fille du comte. De ce moment elle se laissa bercer par la calèche, s’imaginant que le rêve qu’elle avait eu chez Marguerite avant l’arrivée du baron se continuait.

Après vingt minutes de marche la calèche enfila une ruelle courte et sombre qui débouchait sur les quais, et s’arrêta peu après devant une misérable cabane de planches brutes. Par un volet mal fermé un mince filet de lumière passait et rayait faiblement l’obscurité de la ruelle.

Devant l’aspect misérable de cette habitation Héloïse ne put réprimer un frisson d’effroi.

Le baron, qui surprit ce mouvement, dit en ricanant :

— Oh ! il ne faut pas vous étonner si le père Vaucourt n’habite pas un château… il n’est pas riche, le pauvre vieux ! Descendez mademoiselle !

La jeune fille obéit, mais craintive et anxieuse, car elle commençait de soupçonner l’authenticité du billet apporté par le baron. Puis une vague épouvante lui monta au cœur, sans qu’elle pût en expliquer le motif, et juste au moment où la porte criarde de la cabane s’ouvrait et qu’une voix aigre et chevrotante demandait :

— Est-ce vous, déjà, monsieur le baron ?

Dans l’entre-bâillement de la porte, la jeune fille perçut la silhouette diffuse d’une vieille femme.

— Oui, mère Rodioux, répondit le baron d’une voix placide. Monsieur le comte est toujours là ?

— Toujours… toujours… Est-ce mademoiselle ?

— Oui, mère Rodioux, c’est mademoiselle. Venez ! ajouta le baron en offrant sa main à Héloïse.

L’échange de ces paroles entre le baron et l’inconnue parut rendre à la jeune fille un peu de confiance. Toutefois, elle s’étonna que son père n’accourût pas tout de suite à sa rencontre.

Puis la peur la reprit de nouveau et elle eut l’intuition d’un danger grave. Elle songea à fuir… mais il était trop tard ; le baron prenait sa main et l’entraînait à sa suite dans la cabane de la mère Rodioux. C’était un taudis écœurant, d’une pièce unique qu’éclairait difficilement une boule de suif. Devant Héloïse, à demi horrifiée, se campait, horriblement grimaçante, une vieille femme de haute taille, excessivement maigre et vêtue de haillons malpropres.

La jeune fille eut alors la certitude qu’elle avait donné dans un traquenard.

L’indignation fit place à la crainte, elle voulut demander des explications au baron, mais celui-ci avait déjà disparu. Héloïse se vit seule avec l’affreuse vieille dont les lèvres blêmes et sèches gardaient un rictus mauvais.

La jeune fille se jeta contre la porte pour fuir ; la vieille femme l’arrêta.

— Hé ! ma belle fille, faut pas vous emporter comme ça ! Vous ne voulez donc pas attendre votre père ?

Héloïse regarda la vieille femme avec surprise.

— Mon père, dites-vous… Mais le baron m’avait affirmé qu’il se trouvait ici, il m’a trompée !

— Mais non, puisqu’il est allé le chercher, sourit la vieille avec ironie.

— Le chercher… mais où est-il ?

— Chez le père Vaucourt.

— Avec Jean Vaucourt et Marguerite ? demanda Héloïse avec doute.

— Oui.

— Alors, pourquoi le baron m’a-t-il emmenée ici au lieu de me conduire chez le père Vaucourt, comme il me l’avait déjà assuré ?

— C’est parce qu’il aura changé d’idée.

Héloïse ne pouvait admettre cette explication, et, pourtant, tout au fond d’elle-même elle entretenait un certain espoir de revoir son père. Il lui semblait impossible que Marguerite l’eût trompée, et, quant au baron, elle se demandait quel intérêt il pouvait avoir à s’emparer de sa personne. Elle n’en voyait aucun. Que faire ?…

Indécise, tremblante, inquiète, elle demeura silencieuse.

Avec un ton mielleux, qui semblait affecter la tendresse ou la sympathie, la vieille femme dit :

— Venez vous reposer près du feu ; vous tremblez, vous devez avoir froid ? Les nuits sont pas chaudes à cette saison, et l’on dit que l’hiver sera rude, venez !

Elle indiquait un grabat crasseux près de l’âtre dans lequel brûlait un petit feu de bois de rebut.

Héloïse, en effet, était transie ; et malgré le dégoût qu’elle, éprouvait à s’asseoir sur ce grabat, elle consentit pour se chauffer près du feu.

La vieille femme jeta dans l’âtre quelques bouts de planche, puis, sans s’occuper davantage, elle alla s’asseoir à une table boiteuse placée devant l’unique fenêtre de la cabane. À la lueur tremblotante d’une bougie de suif placée sur la table, Héloïse aperçut un tas de guenilles sur le plancher. La vieille prit une brassée de ces guenilles, les déposa sur la table et se mit à faire un triage. Elle déposait les unes dans un panier, les autres elle les jetait dans un sac qu’un clou retenait à la table. Et à ce travail la vieille parut mettre une attention extrême. De temps en temps la jeune fille pouvait l’entendra grogner ou marmotter des paroles incompréhensibles.

Héloïse examinait le taudis. C’était hideux à voir. Le désordre et la malpropreté se donnaient la main. Toutes espèces d’objets disparates demeuraient éparpillés sur le plancher ou accrochés à des clous plantés dans les murs. Et ces murs et le plafond bas étaient sales et noirs de fumée. Deux objets, toutefois, parurent éveiller la curiosité de la jeune fille : à l’un des murs pendait une belle épée, à la lame très brillante et ornée d’une poignée qui lui semblait richement ciselée. À qui pouvait appartenir cette épée ? Elle ne reconnaissait pas l’épée de son père… Peut-être était-ce l’épée du Baron de Loisel ?… Sous l’épée, reposant sur le plancher, Héloïse remarqua encore une besace de mendiant. C’était peut-être la besace de cette vieille femme, qui ne pouvait être qu’une mendiante ?…

Mais la vue de ces objets bizarres, la saleté qui était partout, l’affreuse silhouette de la vieille femme n’étaient encore rien comparé à